vie pas la mienne – le voisin

D’une certaine manière timide, je saute les étapes de l’horreur. Mon nouveau voisin était psychologue et il parlait de « crise nerveuse », ce terme ponctuait chacune de ses phrases alors que je lui resservais une rasade de mon meilleur rhum. J’avais envie de le consoler de n’avoir pas été moi-même le temps d’une infidélité. Evidemment, il était délicat de lui expliquer que sa femme l’avait trompé avec quelqu’un qui n’existe pas, surtout venant de la part de ce quelqu’un. Elargir l’horizon d’un psychologue revient presque automatiquement à parler de paranormal. Il parlait de la peur de la vie de couple alors que je voyais le cul de sa femme élargi par l’angle de la table pendant qu’elle hurlait que je la prenne « par derrière ». Néanmoins ses mots de psychiatre eurent le bienfait de me permettre de voir les limites de l’analyse de l’âme par l’âme : on ne conçoit que ce qui a été fait, on ne conçoit pas l’incréé. Or j’étais l’incréation incarnée, j’étais ce-qui-ne-peut-pas-exister. Du moins est-ce ainsi que je me sentais en face du discours ininterrompu du psychiatre. Il vivait son discours et en même temps son discours était mort et à chaque souffle de mots il le tuait un peu plus. Par exemple : « Je l’aime tellement », qu’il répétait, et à chaque fois je voyais le cul de sa femme balancer contre moi dans un hurlement un peu plus audible.
« Vous avez du connaître la peur du bonheur, non ? »
« Avant, sans doute. Maintenant j’ai peur de ce qu’on croit vrai, comme le bonheur. »
« Pourquoi ? Le bonheur ne peut pas être vrai ? »
« Le bonheur, c’est une impression de bonheur, ça dure le temps d’y croire. »
Il est parti un peu pété, et je me suis dit en le voyant piétiner ses roses, qu’il avait l’air heureux.

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