L’écart du temps

Les souvenirs, les souvenirs, les souvenirs. Ciment de la tristesse, beaux il les regrette, mauvais c’est le temps qui passe. Effarant, le temps se dilapide, impossible de l’épargner. Vieillissant, il devient de plus en plus moi, ce bonhomme se promenant dans mon passé. C’est moi, me dis-je. Mais est-ce moi ? Juste un souvenir de moi. Ce qui existe, c’est moi alignant ces mots, mais ces mots eux-mêmes disparaissent, flous, lointains, je suis si vite flou, et lointain. J’adresse ces mots au Toi l’avenir de l’avenir. Il les lira dans dix ans. Que pensera-t-il ? Qui sera-t-il pour oser penser alors qu’il n’existe pas ? Lorsqu’il lira ces lignes, moi je n’existerai plus, ces mots seront un souvenir, morts, ils seront morts. Le temps me donne envie d’aimer l’oubli. Je ne peux pas oublier, quand j’en ai envie, c’est que je me souviens. Sortir du temps, le temps est une torture, la seule véritable torture. A chaque fois qu’il passe, autrement dit toujours, c’est comme un ami qui me dit : là -bas c’est fini, c’est passé, y penser n’y changera rien, plus loin tu ne sais pas, moi je sais mais je ne te le dirai pas. Les souvenirs, les souvenirs, les souvenirs. Ils n’existent que parce que j’y pense. Ils tissent ma pensée, sans eux je n’existerais pas, avec eux je suis juste une pensée poussée vers l’avant, vers l’inconnu. Prévoir est un leurre, un caprice, préparer l’avenir est un mensonge. Je mens en disant : je vais faire cela, le Toi l’avenir de l’avenir sait que cela n’aura pas lieu comme je le veux maintenant. Le contrôle, l’ordre, l’espoir, sont des leurres. Frêles bâtisses destinées aux dynamites du temps. Rien n’est fait, tout est à faire, mais personne ne sait, le temps déblatère sans cesse son vocable inconnu. Et l’amour, l’amour lui-même, cette flamme si intriguante, si haut, ne parle pas notre langue, il jouit du présent, et puis s’en va, ou reste, comme un caprice du temps. Ecoute, Toi l’avenir, ces mots te sont adressés, d’autres les liront peut-être mais leur regard m’importe peu car ils sont l’inconnu collé au temps qui passe, écoute, Toi l’avenir, je t’aime qui que tu sois, c’est le seul honneur vrai que tu recevras au-dessus du gouffre du temps : je n’ai pas de vie, tu ne vaux rien à mes yeux car je ne te connais pas, je n’ai pas de vie, j’ai juste un temps pour être toi. Les souvenirs, les souvenirs, les souvenirs, voilà tout ce que je suis et tu n’y tiens aucune place, je ne te connais pas et pourtant je t’aime, il me faut t’aimer car ainsi je me réjouis de te devenir. Voilà , le temps a passé, et ces mots, déjà , je ne les reconnais plus, ils meurent quand je les égrène. Les autres vivent et moi je passe, moi je vis et les autres passent, s’il te plaît, tu es mon seul rêve, sois aussi grand que le temps qui nous sépare, mais ne sois pas les souvenirs, ne soit, pas, le cadavre de tes regrets.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…