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Je me retournai pour englober d’un bras le ciel étoilé et l’horizon immuable des dunes.
« …C’est une pure invention pour que nous puissions nous retrouver seuls en tête à tête. »
« Vraiment touchant. Tu es en train de m’expliquer que de se perdre ensemble au milieu du désert est une expérience mystique que tu as voulue par amour pour moi ? Dans ce cas sors ton GSM et appelle les hélicos parce que j’ai atteint mes limites d’amour là … »
« Non Nour, tu n’es pas vraiment là avec moi. Hélas je suis seul. »
Bien sûr que j’aimais ma femme, que j’aimais mes filles, bien sûr que je voulais tout ce qu’il y a de mieux pour elles et pour mes amis, mais Nour m’était plus proche que tout autre, elle était la partie visible de tout mon être, je pouvais tout lui dire et tout entendre d’elle. Et là au milieu du Sahara j’ai réalisé que cela ne suffisait pas, que j’étais seul, irrémédiablement seul. J’avais espéré lui donner à elle au moins ce que je vivais depuis ma mort, mais impossible d’exaucer ce vœu. En cet instant, le reste d’amour en l’humanité que je détenais s’évapora dans l’air vide du désert.
« Quoi tu es sérieux ? Tu crois vraiment que l’amour se teste comme ça à l’échelle de la mort ? Tu sais bien que je te suivrais partout, et tu le vois bien ! Je suis soumise à tout ce qui vient de toi, et j’espère que tu en ferais autant, mais si vraiment tout ça est une sorte de mise en scène mégalo de ton amour, arrête. On a passé un jour et une nuit dans le sable sans eau, que cherches-tu de plus ? Tu crois que la seule façon d’aimer définitivement est de mourir ensemble ? »
« Non Nour. Je dis juste que je suis seul. Que le sentier sur lequel je me suis engagé ne me permet aucun accompagnement. Je dois être seul. Et merde, tu peux pas savoir comme ça me fait peur. »
« C’est un peu tard pour l’épreuve de la solitude, parce que je suis à côté de toi, là . »
« Justement. Le truc c’est que maintenant je ne sais pas quoi faire. »
« Ah ? C’est pourtant évident. Tu essaies de te confronter à la mort. Alors vas- y, marche dans le désert, à notre rythme tu la verras très bientôt, la mort… »
Cette remarque sur le rythme me fit tiquer. Il n’y avait pas de temps dans ce que je me faisais subir. Il n’y avait qu’une succession d’instants choisis au grès de mon désir.
« Ecoute-moi Nour, essaie d’oublier notre situation, essaie de tout oublier. Le désert, la soif, le ciel, les dunes, ce qu’on a vécu ces derniers mois ensemble, tout, essaie de tout oublier. Essaie de faire, je sais pas moi, comme si nous étions dans un resto à Finisterre… »
« Comme après ton gain à la loterie, lorsqu’on a décidé de tout plaquer ? »
« Peu importe. Tu es là , tu es maintenant, et tu peux tout. Ce n’est pas une question de modifier ton passé, parce que si tu le fais tu seras quelqu’un d’autre et on rentrerait dans un paradoxe. Ce n’est pas non plus une question de voir ton avenir et d’essayer de le changer, parce que quoi que tu fasses tu le feras pour que cet avenir arrive, sans pouvoir y échapper. Non ce que je te propose se passe en-dehors du temps. Il s’agit de pouvoir tout changer, là , maintenant, de changer toute la réalité qui t’entoure excepté toi. Parce que si tu essayais de te changer toi on rentrerait dans un nouveau paradoxe et ce serait la galère. Alors ? Que ferais-tu ? »
« Je ferais apparaître une oasis de rêve de l’autre côté de cette dune. »

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