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Barry, quand il ne faisait aucun effet, il pétait de joie pour avoir l’air presque hilare sous mes yeux immobiles.
“Et bien quoi ? Tu n’y crois pas à nos retrouvailles ?”, m’offrit-il en bandant ses muscles rituellement entraînés au-dessus de la table bancale.
Je l’ai accompagné à l’aéroport militaire en le laissant poser une main sur ma cuisse. Il aurait rêvé d’une main sur un sein avant de monter, ou d’un délire exotique dans les toilettes miteuses de l’aéroport, mais il s’est contenté de ma main secouée brusquement. Il se comportait comme si une caméra le suivait partout. Voir le Pilatus s’envoler me laissa avec un léger vague à l’âme. J’avais envie de partir, mais où ? Compostelle était le dernier endroit au monde où j’aurais souhaité aller, surtout depuis la mort de David. Trop de souvenirs, aucun ami. J’y aurais été accueillie par le sourire en forme de grimace de pitié de ma mère. Avec le salaire qu’on me payait ici je ne pouvais pas me permettre de débarquer dans une grande ville, sans économies, sans rien. Je n’avais sans doute plus l’âge de la jouer vagabond.
La chaleur sèche fouettait le sable autour de la Jeep sur le chemin de retour. Le volant collait entre mes mains. Les arbres rabougris qui résistaient à l’avancée du désert me donnèrent envie de boire au goulot un Gin glacial. J’étais coincée ici, dans cette antichambre de l’enfer, pour une raison liée à la rupture avec David au milieu du désert, mais je ne voyais qu’une succession de causes à effets là où se cachait autre chose.

Le soir, après la tournée d’antibiotiques, je me suis remise au tchat sur Internet, rituel qui avait été jusqu’alors un peu perturbé par la présence sexuée de Barry. Je suis redevenue Nour l’amazone intouchable, la beauté chocolatée des fantasmes occidentaux de ces messieurs. De les voir s’agiter autour de moi avec tant de questions, de voir sur mon écran leurs appels tantôt grivois tantôt sérieux, me rafraîchissait. Illusion d’un autre monde où existaient les gouttes de pluie de l’automne et les brises douces d’une fin de soirée d’été, à travers un écran LCD.
Plus tard dans la nuit, je suis retournée sur un site d’actualités pour revoir les images de la Ferrari calcinée de David. J’ai bien cherché. Je suis allée sur d’autres sites. J’ai fait toutes sortes de recherches sur Google. Rien. Plus un seul article se rapportant à l’accident de la veille. Tout avait été effacé.

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