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« L’existence du gouffre au creux même du quotidien m’est apparue évidente en voyant ce type à quelques têtes de moi, coincé dans la foule transpirante d’un milieu d’été, dans une rame du métro parisien, il gémissait. Le métro était à l’arrêt au milieu du tunnel depuis quelques minutes. Les gens commençaient à maugréer. Ce genre de situation terrible où on est obligé de respirer l’aisselle de l’autre. Le type a gémi, puis il s’est mis à marmonner, puis il s’est mis à hurler. Je crois qu’il voulait sortir du wagon. Un type en cravate à ses côtés l’enjoignait à se calmer, mais en fin de compte il hurlait presque autant. Les autres restaient parfaitement immobiles. Alors le gars a bousculé les gens jusqu’aux portes et a tiré la poignée de secours. Ça a fait un « pshhhht » de décompression et les portes se sont entrouvertes. Il a mis toute sa force pour les écarter et là une dame a voulu le retenir, mais il l’a poussée violemment en arrière contre moi et s’est jeté dans le tunnel. A ce moment, le Châtelet – Défense est passé en trombes dans l’autre sens et il y a eu ce bruit de pastèque éclatée qui a fait sursauter tout le wagon. Les portes se sont refermées, et le Défense – Châtelet est reparti. Sous les néons, les gens dans les vitres avaient l’air un peu plus pâles. Personne n’a rien dit, quelqu’un que je ne voyais pas s’est mis à pleurer. En sortant au Châtelet, j’ai vu la dame vomir dans une poubelle.
En ce qui me concerne, je l’ai pris comme une révélation. Il fallait que je trouve ma porte. Je me suis mis à chercher dans le métro.
Il y a une théorie tenue par un type qui déambule tout le temps dans une partie du métro, sous Montparnasse, comme quoi il s’agirait ni plus ni moins du mythique Labyrinthe des Fantômes dont tous les Romantiques, après les Grecs, ont rêvé. On ne s’y perd pas, on s’y retrouve, pour notre perte. Depuis que je cherche, le plus grand événement, c’est le calme dans lequel je vis. Les souterrains sont calmes. »

Je me lève, hilare, derrière moi la surface crue d’un mur en béton. J’attrape quelque chose parterre et me dirige vers une porte de métal gris sur laquelle on peut lire «  SANS ISSUE. » J’ouvre la porte, me faufile, et avant de disparaître, appuie sur la télécommande. La caméra s’éteint. Tout s’éteint.

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