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Il n’y a rien à éclairer dans un tunnel de métro, alors pourquoi en avoir posé tous les vingt mètres ? Ces traces fulgurantes dans la nuit servent-elles uniquement à marquer la présence de l’homme au cœur du silence et du vide ?
Un poseur d’affiches que j’ai rencontré une nuit, durant ma recherche erratique de la porte, m’a proposé l’explication suivante : les néons sont là parce qu’il existe des phénomènes secrets. Les néons sont là pour être vus, et pour qu’on ne voie pas ce qu’ils cachent. C’était un homme-affiche, sur ses habits dansait le charivari de tous les logos du monde. La colle moulait son T-shirt contre un ventre rond où les Heineken s’entassaient. Il m’aimait bien, le « taré au costard et à la mallette », il a osé me montrer son tatouage au bas du dos. C’était un crocodile Lacoste avec le logo de Nike inversé et enfoncé dans la gueule : il voulait avouer quelque chose de sombre, improbable bulle de BD. Je ne me rappelle plus de son nom, c’est sans importance maintenant, c’est l’homme-affiche. Il prolongeait souvent sa théorie des néons par sa théorie des caméras. Il prétendait avoir trouvé des caméras infrarouges, high-tech, dans des corridors où personne ne passe jamais. Je ne l’avais pas cru sur le moment, jusqu’à ce que plus tard je les voie de mes propres yeux. Sa théorie des caméras tient en une phrase à vrai dire : ils nous voient et nous surveillent. Qui ça « Ils » ? Ça n’a pas vraiment d’importance. C’est le côté rassuré qui m’épatait chez l’homme-affiche. Il était rassuré d’être observé en secret, un peu comme une publicité mouvante, un type effaré par l’anonymat de la foule regardant ses gestes et le résultat immense et coloré en découlant pour une semaine. Elles étaient ses pubs. Et les caméras, elles étaient aussi là pour lui.
Je l’ai vu mourir par l’œil d’une d’entre elles, suriné près d’une rame vide par des types qui n’avaient rien d’autre à faire, alors que l’épouvantable bourdonnement annonçait la fermeture des portes. Il avait néanmoins eu le temps de me donner un trousseau de clés très intéressant. »

Je fixe la caméra. Mon regard vogue de gauche à droite. On dirait que je n’aimerais plus être là mais me retiens de partir, ou de pleurer. On me sent attaché au béton qui m’entoure mais en même temps, effrayé. Un grondement diffus annonce sans doute le passage d’un métro quelque part, au loin, en-dessus, vers l’air. L’image tremble un peu. La caméra sait qu’elle ne devrait pas être là , elle en tremble, fixant son regard sur moi, un peu perdu au bord d’une chaise récupérée dans les débris. D’un geste las je tends la télécommande et tout s’éteint.

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