61.

Fulgence le voit bien mais ne le croit pas encore tout à fait. Elle glisse dans la chattière les jambes en avant et ses cuissardes noires monte presque jusqu’aux fesses. On dirait plutôt une sorte de guêpière en cuir par-dessus quoi elle a enfilé un short en jean crasseux et moulant. Il y a juste une petite fente d’un centimètre de chair nue, pâle, entre la cuissarde et le short. Comme un timide appel. Elle porte son t-shirt de la RATP, serré à la taille et aux épaules, donc entre deux aussi. Angeline a construit un chignon sur sa tête et ne porte pas de casque. Arrivée dans le boyau, elle allume sa lampe à acétylène. Elle se redresse, à peine essoufflée.
« Je suis prête et vous ?… Monsieur ? »
« Je heu… Je heu… Vous ne mettez rien ? »
« Comment ça rien ? »
« Je veux dire en dessous, heu, en dessus de votre t-shirt… »
« Non pourquoi ? Je n’ai jamais froid comme ça. La température ne change pas tellement ici… »
« Bien sûr, bien sûr. »
« Alors on y va ? Vous me suivez ou je vous suis ? »
L’idée angoissante d’avoir cette paire de cuissarde dans le faisceau de sa lampe le fit toussoter.
« Non, non. Je vais devant. »
Les catacombes se résument à un faisceau de lumière sur de la pierre jaune et des reflets d’eau autour des cuissardes de celui qui précède. C’est pour cela que depuis des années Fulgence les parcourt, parce qu’il n’y a rien et dans un monde où il y a trop de tout, c’est une chose appréciable. Et puis à 60 ans, des dizaines de kilomètres sous terre, ça fait garder la ligne.
« On va où, Monsieur ? »
« Direction Porte d’Orléans. »
« Mais y’a rien par là -bas… »
« Jusqu’à récemment en effet il n’y avait rien. Mais un scanning m’a permis de découvrir un tunnel imposant qui, j’en suis sûr, n’était pas là avant et n’est mentionné sur aucune carte. »
« Un scanning ? »
L’eau arrive a mi-cuisse et ils se taisent un moment, cherchant à chaque enjambée un appui sur les rebords, pour ne pas s’enfoncer trop. Après une dizaine de minutes, le corridor remonte.
« Une nouvelle méthode de visualisation souterraine par satellite. Les vides sont à une autre température que la roche, or à partir de 1 ou 2 mètres sous terre la fréquence d’onde sur laquelle on travaille est différente de celles de la surface. C’est un procédé qui prolonge les techniques de sonar et d’échogéologie. Les calculs résiduels sont très importants mais de nos jours, quand un bon Pentium peut simuler une partouse 3D, les calculs ne sont vraiment plus un obstacle. »
« Vous voulez dire que depuis des kilomètres d’altitude on peut littéralement voir les carrières sous Paris ? »
« Je veux dire beaucoup plus que ça, ma petite Angeline. »
Fulgence se retourne et un instant la torche sur son casque éblouit cette divine féminité, ronde et moelleuse dans ses cuissardes noires au milieu de toute cette pierre.
« Nous émettons de la chaleur nous aussi et en ce moment même, si quelqu’un activait la connexion au satellite, il nous verrait marcher pas après pas. »
« Mais qui peut faire ce type de scanning ? »
« Moi. La police. L’IGC. En remplissant le formulaire approprié et en attendant deux ou trois jours, la RATP ou la SNCF peuvent aussi, bien que pour eux il n’y ait pas vraiment d’utilité. Le satellite peut être réglé sur différentes longueurs d’ondes et en général son usage est purement cartographique. Mais il m’est arrivé d’observer vos faufilements audacieux, Angeline, alors que les types de la Sécu, de petits points rouges juste à côté de vous, trépignaient en se demandant où vous étiez passée. Vos fuites sous terre forment des hiéroglyphes mystérieux, sur les écrans de contrôle. »

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