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« Dans le fond vous avez peut-être raison. Mais la société n’en a rien à foutre du fond et de la raison, ce qu’elle veut, c’est du concret, tout de suite, de l’évolution, maintenant. »
« Pas exactement. Ce que chacun veut, c’est l’amélioration de sa propre vie. Mais si cette amélioration passe par l’abaissement de la vie d’un autre, ça, tout le monde s’en fout. Or à une échelle plus vaste, cela signifie que la société cherche une situation optimale, et que si cet optimum passe par l’avilissement et l’humiliation d’une minorité, j’insiste bien sur le facteur minoritaire car il est la clé, et bien que cela soit ! Il est indispensable au bon fonctionnement de notre société qu’il y ait une minorité qui se plaigne. En fait c’est le système lui-même qui cherche la révolte afin de se régénérer pleinement. »
« Vous voulez dire que la clé du contrôle démocratique réside dans la plage de révolte, de fausse liberté, qui est laissée à ceux qui subissent ce contrôle ? »
Fulgence s’adresse à la bouteille maintenant, d’un acte de politesse elle est passée à un biberon très doux. La bouteille, une ancienne amante presque oubliée : il n’aurait pas du y toucher, tous ses neurones se plaignent et en même temps en demandent encore.
« Mais il n’y a personne qui subit le contrôle. Tout le monde contrôle tout le monde. Ceux qui croient manipuler les masses par de savants tours de technique et d’inventivité, en réalité ceux-là même obéissent à ce que la masse leur demande. Ils croient inventer des besoins ou prévoir des comportements, ou du moins les plus modestes d’entre eux pensent deviner dans quelle direction le marché, cette représentation économique de la masse, se dirige. Mais ils oublient qu’ils sont eux-mêmes conditionnés, que s’ils prennent une décision c’est parce que la masse, c’est eux. Et ils gesticulent au sommet de leurs podiums parce qu’ils sont applaudis, parce qu’ils incarnent au bon moment et au bon endroit ce que la masse souhaite qu’ils soient. Pour être plus cru, ils enculent ceux qui les enculent, et que ce soit sur un trottoir par une nuit d’hiver à côté d’une bouteille ou dans un fauteuil à côté d’un sapin de Noël qui fait 3 mètres, la différence réside seulement dans le nombre de personnes qui vous écoutent. Le reste n’est affaire que de symboles et d’apparences. »

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