Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : X. | L’égoïste estime

L’équation de Cooley (1890) affirme très justement que l’estime de moi est un équilibre entre mes prétentions et mes succès, ou le jugement personnel que je porte sur mon aptitude à répondre à ces prétentions. J’affirme donc que si je pouvais révéler en moi l’élément qui me rend totalement unique, cela me permettrait alors de me distinguer totalement des autres et, par cette distinction, augmenter mon estime de moi-même et répondre à mes prétentions et atteindre un équilibre. Mais je pense que si je pouvais pointer du doigt sur chacun d’entre vous et te dire ce qui te rend totalement unique, tu n’aurais de cesse alors de tendre vers cette chose qui te rend totalement unique, même si cette chose te détruirait. Parce que tu saurais avec certitude qu’en tendant le plus possible vers cette chose te rendant totalement unique tu aurais la possibilité et la chance de découvrir une sorte d’unicité fondamentale, une force phénoménale qui brillerait sur les autres et les aiderait enfin, eux aussi. En engrangeant au passage le bénéfice d’inscrire mon nom aux panthéons, conséquence que j’ai toujours en tête. Donc en étant totalement égoïste, fermé sur mes propres désirs, fonçant toujours sur le même chemin sans rien n’attendre des autres et sans rien leur donner d’immédiat, je suis aussi en même temps en train de suivre un chemin qui apportera aux autres, possiblement, plus qu’il n’est imaginable en terme d’impact sur une large audience (donc sur le "karma" global de l’humanité). La recherche égoïste de l’estime de moi-même comme don total de mon être et de mon existence. Le seul souci reste donc bien de satisfaire l’estime de soi. Les causes rendant la vie totalement insupportable en ma compagnie sont le fait que ce don égoïste de moi ne soit pas immédiat et absolument certain: bien sûr c’est embêtant, on pourrait vite croire que je ne suis en fait qu’un sale con prétentieux. Ce qui me ramène à mes prétentions. Parce qu’à l’inverse, dans l’équation de Cooley, je pourrais très bien baisser ces prétentions. Pourquoi de telles prétentions hein? Est-ce que tout le monde en a comme moi? Sont-elles proportionnelles à la taille de mon ego? J’ai juste un besoin fou d’être aimé, suis juste un petit Caliméro tout épleuré dans son coin et je gesticule des mots pour qu’on m’aide en m’admirant. L’artiste raté en somme, et l’égocentrique de base. Peut-être suis-je parfois un peu ridicule, et donc touchant tout au plus. Je ne crois pas qu’on aie tous autant besoin de reconnaissance. Une mère de famille dévouée par exemple aura surtout le souci de préparer ses rejetons à une vie la plus intéressante possible, à ses yeux. Un artisan trouvera son contentement dans l’exercice de son travail et la satisfaction de son entourage, famille pour ses revenus et clients pour le service rendu. Bref il y a plein de sortes de gens qui vivent une équation de Cooley cool (oui je sais il était facile celui-là ). A l’inverse les acteurs ou tous ceux qui touchent de près loin ou de loin aux métiers du show-biz (y compris les politiciens) ont un besoin de reconnaissance tyrannesque. Mais ce besoin ondule au cours de l’existence, comme le démontrent Vanessa Paradis, Marlène Jobert, Julia Roberts, Angelina Jolie, Clotilde Courau, disparues tour à tour des écrans de cinéma parce que leur besoin de briller fut remplacé par une autre prétention: être de bonnes mères. La preuve donc qu’estime de soi ne rime pas toujours avec besoin de reconnaissance. Je pense aussi qu’en règle générale c’est une attitude très mâle. La peur provoquée par la perte du pouvoir face à l’idée de la mort et la recherche d’immortalité égoïste qui en découle. Le reste, se donner à l’art, s’offrir à l’humanité, faire don de son génie etc etc, c’est une argumentation un peu bidon et à vrai dire totalement boîteuse. Aussi boîteux que cette âme généreuse qui s’offre sans compter aux pauvres, aux malades, aux handicapés ou à sa famille: le produit de cette offrande est certes apprécié mais sa motivation peut être aussi stupide que la satisfaction du devoir accompli. Enfin, pour en revenir à moi qui suis assis dans le resto-bar d’un train en direction de Genève et médite sur les motivations existentielles du serveur, pour en revenir à moi, parce qu’il s’agit avant tout de l’estime de moi, je pense faire partie de ceux dont l’ego est si démesuré que rien, absolument rien ni aucune situation, ne contentera jamais pleinement. Même si je devais monter les marches de Cannes demain, et j’en rêve, je sais déjà que le surlendemain ou la semaine suivante je serais à nouveau de retour ici en train de me plaindre et de maudir le portier qui ne m’a pas souri après cette montée déprimante; des marches dont le rouge est tacheté de chewing-gums et sale vu de plus près.

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