Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : François S.

Les aller-retour permanents en train de Lausanne à Genève offrent un immense potentiel mélancolique. Comme de faire remonter à la surface une amité de l’aube des temps. On a sans doute partagé tous nos rêves. Toutes les folies et les libertés et les impensables volontés d’avant 18 ans on les a balotées ensemble tels des cerf-volants fous sur un ciel parfaitement bleu attendant qu’on vienne y marquer nos initiales. François était mon seul ami. En traversant toutes ces années de morsures et de prétentions formidables avec lui, un lien insondable a été tissé qui ne peut plus disparaître sous la vague des ans. Forcément, quand on a roulé ensemble sur une autoroute de la riviera lémanique avec des motos volées capables de rugir dans le vent d’un été inoubliable à plus de 200 km/h, adolescents de 16-17 ans sans permis agrippés à des mécaniques portant tous leur rêves dans l’air tiède, prometteur, fonçant et dépassant toutes les voitures, tout ce qui bouge, forcément il y aura toujours de quoi en rire et de quoi s’en extasier. On peut tout faire. C’est ce que me rappelle encore et toujours ce souvenir délirant. Et puis il y a eu la police, et les juges, et les parents, et les emprisonnements avec sursis. On s’était pourtant bien dit que si on se faisait prendre on ne dirait rien. Après une nuit en prison, en face d’un inspecteur prétendant que François avait déjà tout avoué, j’ai juste voulu en finir avec la taule qui se profilait et j’ai craqué et j’ai avoué. Pas tout, mais j’ai avoué en tout cas ce qu’ils voulaient entendre. J’essaie encore maintenant de me discupler. Car François en réalité de son côté n’avait pas craqué, il tenait la promesse qu’on s’était faite. Je me demande maintenant devant le paysage qui meurt une fois de plus dans mos dos si je n’ai pas été faible, si je n’ai pas tout cassé entre nous à ce moment-là , et si depuis ce moment nos chemins se sont dissous vers d’autres horizons. François était plus fort que moi, plus coriace et plus lucide, et surtout, il n’avait aucune peur des autres. Sa confiance en lui n’avait pas de limites. Là où plus tard j’ai plombé mes ambitions de doutes et de questions, m’éloignant des autres et construisant petit à petit une réalité où je repoussais mes rêves dans la solitude, lui au contraire, intelligent, clair et direct, est allé palper et saisir et embrasser les événements. A cet âge, ça veut surtout dire les femmes. Les femmes. Confiance en soi, charmeur, séduisant, éloquant, persipcace et attentif, ce fut l’âge où tous ces rêves et toutes ces envies de force brute sur l’implacable système trouvèrent pour François une expression tangible dans le désir du corps des femmes. Dans le désir, mais cela je le lui laisse, comme pour beaucoup d’autres sans doute, moi en l’occurence, alors de plus en plus seul dans mon coin de rêves bétonnés de réalités, dans le désir d’être aimé.

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