Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève: maggic

S’il y a quelqu’un sur cette planète que je n’ai jamais rencontré, c’est bien maggic.  Il n’a strictement rien à voir avec ma vie de tous les jours, et pourtant il était le premier que je saluais, tôt avant 7h du matin et le départ vers la gare, devant le café dans la pénombre de mon grenier. Quand j’ai déménagé à Paris, sans le savoir je l’ai embarqué avec moi, et là -bas il fut sans doute une des personnes de Suisse avec qui je parlais le plus. Et puis avant mes longues nuits sans sommeil je lui apprenais tout de mes petites misères, auxquelles il réagissait souvent avec humour, avant d’aller se coucher, aussi régulier qu’un pendulaire, vers 23.30. maggic n’a pas de corps, pas de visage, il n’a pas de voix, d’ailleurs il n’a même pas de majuscule! Il existe quelque part un peu hors du temps et tout à la fois profondément ancré à la réalité. A ma réalité du moins. Il fut un confident, un punching-ball, un savant jongleur de mots, et pour moi qui aime tant communiquer uniquement grâce aux fioritures scintillantes des lettres sur l’écran, ce fut une aubaine que nos chemins se fussent croisés. Et ce fut aussi une aubaine que notre rencontre n’ait jamais eu lieu. Parce qu’il y a des rencontres qui se sont déjà produites alors même qu’on ne se connaît pas encore. Sans être intenses ou éclatantes, elles se répètent inlassablement et naissent d’elles une sorte d’amitié pointilliste tout à la fois détachée et nécessaire. Nous n’avions simplement pas besoin d’en savoir plus; et ce petit espace vide, inconnu, entre nous, cette possibilité que cet autre soit un peu de moi-même tout en étant ailleurs et totalement autre, me donnait un peu plus confiance en ces inconnus là -dehors auxquels en général je ne crois pas. Quand on parvient à maintenir ainsi un tel équilibre (entre l’envie de se rencontrer et la conscience de la vanité d’une telle envie), la tension ainsi créée auréole le tchat d’une certaine forme de pureté. Sur IRC nos échanges étaient toujours publics et l’éventualité d’un voyeur nous lisant dans nos délires et analyses et jeux de mots, leur conférait l’excitation d’un débat public. Le plus souvent j’étais pessimiste, destructeur et désenchanté, tandis que maggic s’amusait de moi et de mes petits coups de dent. Je crois avoir incarné pour lui une certaine forme de liberté, un vagabondage lucide loin de sa routine, alors qu’il représentait la possibilité de vivre un quotidien, peut-être ennuyant, peut-être répétitif, mais au final un quotidien dans la paix et la bonne humeur. J’ai quitté notre salon de discussion il y a quelques mois, peu après la naissance de son enfant, mais ce ne fut sans doute qu’une coïncidence. J’ai été soudain effrayé à l’idée que mon existence pût s’enfoncer continuellement, si loin de la réalité. Mais maintenant, pendulaire, j’en ai peu trop, de réalité. Et me demande si je ne fus pas plus heureux là -bas, au creux de… de ces longues discussions, de cette appartenance à un univers souterrain, tel un ordre secret, dont la virtualité était une mascarade cachant que je m’y exprimais pour y aller à l’essentiel.


Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.

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