Rien

Il y a un cercle autour de moi. Bon alors on va pas s’emballer en se disant que c’est juste un cercle dessiné, un cercle d’idées ou un cercle d’amis, non non c’est bien un cercle. Surtout comme dans "enfermé dans un cercle". T’es bien assis là, t’as rien de spécial à faire et t’es enfermé dans un cercle. Je pourrais marcher un petit peu et partir me promener. Admirer l’étendue des matinaux tripotant ce qu’ils vont faire. Là encore j’aurai mon cercle soigneusement dessiné autour de moi. Rien n’existe au-delà de ce cercle. C’est mon cercle. Plusieurs géométries invisibles, un peu perdues, le composent comme dans un tangram, sauf que c’est un cercle, et que s’il existe une infinité de façons de le composer, et bien il n’en reste pas moins un cercle. Mon cercle. Les pierres qui le constituent montent vers le ciel et je pourrais aussi bien dire que je suis au fond d’un puits.

D’ailleurs je suis au fond d’un puits.

Les pierres sont fades et friables et les couches qu’elles forment sont molles, s’effritent quand j’essaie de grimper. Mais grimper n’a aucun sens, ce serait comme de demander à un enfant de grandir un peu, tu déconnes tu fais n’importe quoi là, grandis un peu!, et puis les pierres reprennent leurs reliefs, fades et friables, où je tourne en rond comme tout le monde. Il ne faut pas penser qu’il n’y a pas d’issue, c’est plutôt que l’idée même d’une issue est fausse. Sinon les pierres ne seraient pas si friables, et le puits ne serait pas si haut, et le ciel ensoleillé ou étoilé ne verrait aucun inconvénient à ce que je projète des trucs en lui, des trucs loins, des trucs dans l’avenir, à faire un peu battre mon coeur. Sauf que quand je pense à ces trucs qui font un peu battre mon coeur le ciel se fâche. Et il pleut. Alors quand il pleut l’eau monte au fond du puits et c’est fou à quelle vitesse elle monte. D’ailleurs je ne sais pas pourquoi c’est de l’eau salée. Ca m’a perturbé la première fois parce que je me suis rendu compte en voyant cette eau dégouliner dans mon puits que j’avais soif, alors qu’avant de voir l’eau je n’avais jamais eu soif, avant de rêver je n’avais jamais eu soif, et puis d’essayer d’avoir soif et de l’assouvir m’a mené à l’eau salée. Qui monte. L’eau montant j’ai réalisé que j’avais besoin de respirer.

Désormais j’évite de penser à ces trucs qui font battre un peu mon coeur.

Je me dis que je m’observe mourir.
Une femme m’a une fois dit qu’elle admettait son enfermement, que l’espace et le temps lui étaient prêtés. J’avais opiné en tapant dans la boule de mon flipper parce que j’étais sur le point de gagner un jackpot. Elle m’avait parlé du résidu fermenté de tous les fromages qu’on bouffe et s’était sentie coupable de ne plus comprendre ce qu’était l’essentiel. Dans sa vie. Comme si c’était possible de vivre l’essentiel. Maintenant je sais que si j’étais capable de ne vivre que l’essentiel j’entendrais le long crissement d’un train de marchandises s’arrêtant à une gare. Et puis je continuerais à vivre sans savoir que ce long crissement aurait été l’essentiel. Mais ça je le sais parce que je suis au fond de mon cercle. Avant, quand elle me l’avait abattu au bord du lac, j’avais juste pensé qu’elle était un peu dépressive, qu’elle se posait trop de questions. J’avais eu envie de tirer sur le noeud de son maillot et de lui lécher le vagin, pour l’essentiel. Elle n’a pas aimé mon sourire et m’a quitté peu après pour une ville plus grande.

Alors je ne souris que rarement aux pierres qui m’entourent.

Parfois, je me dis que ce puits a jeté son dévolu sur ma déchéance; d’autres fois, je pense que je suis tombé dedans parce que je n’avais plus rien d’autre à faire. Pourtant je n’ai pas beaucoup lu, je n’ai pas vu grand chose des horizons des six continents, je n’ai pas assez aimé. Il me resterait donc tant à découvrir. En fouinant à mes pieds, dans la poussière cendreuse de mon puits, qui je le sais fossilise ceux qui ont hurlé là avant moi, outre des restes de fémur, j’arrache au passé des coins de photos. Où des bouts de visages réussissent encore à sourire.

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