D’amour, de mères et de femmes

Elle observe le ciel du couchant entre les arbres noueux du Cerrado. Sa petite-fille a déjà préparé le feu. Comme elle bouge vite ! Comme elle est fluide ! Elle est dans son élément. Elle coule entre les branches, autour de la cascade elle sautille d’une pierre à l’autre, elle semble partout à la fois dans la joie et l’harmonie avec la nature immense qui n’en finit pas de s’étendre vers l’horizon. A l’Est, les première étoiles. Elle lui rappelle son enfance. Comme elle se détachait dans l’air vibrant de son pays, comme dès son plus jeune âge tout ce qui l’entourait la portait dans le temps et l’espace vers une destinée tracée, aussi limpide que l’air de ce soir naissant.
Les laissant seules elle et sa petite-fille, Helena est allée se perdre vers les petites cascades qui par douces étapes descendent jusqu’à la chute du Sertao Zen.
« Grand-mère ! Regarde la libellule ! »
Elle lui sourit, acquiesce.
Ce lieu et cette lumière lui font penser à ses histoires d’amour. Et à une en particulier. Dans son sac, elle a emporté la manchette du journal qui lui a annoncé sa mort. Comme il aimait la lumière de son pays !
Sa petite-fille lui ramène une pierre parfaitement ronde et transparente.
« Regarde, grand-mère, c’est mon coeur ! »
« Ton coeur ? Il est beau ! Alors garde-la bien toujours avec toi, et quand tu seras amoureuse, tu pourras partager cette jolie pierre avec ton amoureux. »
« Mais je suis déjà amoureuse ! »
« Ah bon ? C’est un petit copain de l’école ? »
« Non… Du cheval. Mais je ne sais pas s’il est aussi amoureux de moi. »
La petite fait la moue et détourne son regard un instant vers l’horizon où le soleil s’est évanoui.
« Tant pis. Je vais quand même lui montrer ma pierre ! »
« Tu as raison. Et puis s’il ne l’aime pas, tu auras toujours ta pierre et tu auras toujours ton coeur avec toi. »
Un peu plus tard, Helena est revenue des cascades, sa fille fait rôtir au bout d’une branche quelques légumes et du manioc. Les étoiles se sont levées et la voûte de la Voie Lactée nimbe le ciel d’une brume lumineuse d’un horizon à l’autre. Elles sont restées longtemps en silence, elle observant sa fille Helena, Helena observant sa propre fille. Helena s’est détournée du feu un moment et a souri à sa mère.
C’est maintenant qu’elle veut le faire. Péniblement – elle n’a plus l’habitude de ces longues marches dans la savane – elle se redresse et sort la manchette de journal qu’elle a soigneusement découpée plus tôt dans la journée. Lentement, elle plie le texte et sa photo en un petit carré blanc. Elle s’approche du feu. Au bout de ses doigts encore graciles, le petit bout de papier brille près des flammes. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait plus entendu parler de lui ! A part dans les livres et les poèmes, et les chansons qui avaient repris ses poèmes, et dans chaque poème d’amour et dans chaque histoire et dans chaque chanson elle avait reconnu un petit bout de leur histoire.
Avec un geste à la fois tendre et gracieux qui se détache du temps, du ciel et des flammes, elle laisse tomber le petit carré blanc dans les braises. Les larmes scintillent discrètement entre les rides de son visage.
« Grand-mère ! Tu pleures ? »
Tandis que de l’autre côté du feu, Helena la fixe intensément.
« Oui ma petite, parfois, il faut pleurer. »
Elle s’assied sur un rocher près de sa petite-fille et rend son regard à Helena dans un sourire paisible et triste.
« A cause d’un amoureux ?! »
Elle la prend dans ses bras et serre sa petite main qui tient son petit caillou.
« Autrefois, oui, mon amoureux. »
« Il est parti ? »
« Il est parti, il y a longtemps. »
« Alors tu es triste… »
« Je suis triste, et heureuse. Il a écrit plein d’histoires sur nous et notre amour ! Je lui ai donné de l’amour et il m’en a donné, et c’était comme ce feu que tu vois là, et ce feu est devenu comme toutes ces étoiles que tu vois là au ciel ! Beaucoup de femmes et d’hommes autour de la Terre ont aimé ces mots comme nous nous sommes aimés, les ont chanté et dansé, et à leur tour ils se sont aimés et ont touché un petit bout de bonheur, grâce à nous. Alors je suis heureuse. »
« Mais tu es triste, parce qu’il est parti… »
Elle sert sa petite-fille fort contre elle. Helena sourit, son regard perdu dans les étoiles. Le ciel est noir et lumineux. Comme il aimait ce ciel qu’il a rejoint !
« Oui. Et aujourd’hui, il est parti une deuxième fois. Mais dans mon cœur, il reste toujours. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…