« vie pas la mienne » p.201

L’existence du gouffre au creux même du quotidien m’est apparue évidente en voyant ce type à quelques têtes de moi, coincé dans la foule transpirante d’un milieu d’été, dans une rame du métro parisien, il gémissait. Le métro était à l’arrêt au milieu du tunnel depuis quelques minutes. Les gens commençaient à maugréer. Ce genre de situation terrible où on est obligé de respirer l’aisselle de l’autre. Le type a gémi, puis il s’est mis à marmonner, puis il s’est mis à hurler. Je crois qu’il voulait sortir du wagon. Un type en cravate à ses côtés l’enjoignait à se calmer, mais en fin de compte il hurlait presque autant. Les autres restaient parfaitement immobiles. Alors le gars a bousculé les gens jusqu’aux portes et a tiré la poignée de secours. Ça a fait un « pshhhht » de décompression et les portes se sont entrouvertes. Il a mis toute sa force pour les écarter et là une dame a voulu le retenir, mais il l’a poussée violemment en arrière contre moi et s’est jeté dans le tunnel. A ce moment, le Châtelet – Défense est passé en trombes dans l’autre sens et il y a eu ce bruit de pastèque éclatée qui a fait sursauter tout le wagon. Les portes se sont refermées, et le Défense – Châtelet est reparti. Sous les néons, les gens dans les vitres avaient l’air un peu plus pâles. Personne n’a rien dit, quelqu’un que je ne voyais pas s’est mis à pleurer. En sortant au Châtelet, j’ai vu la dame vomir dans une poubelle.

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