Fiche technique – Nehmain – source : nuées

vissée dans le parquet

Je suis celle qui, les pieds enracinés dans la terre, attend. Celle qui s’éparpille jusqu’au fin fond de vos yeux. Celle qui vous souffle dans les cheveux. Fille de feu, mélange d’eau et de terre de brume, je contemple. Enfermée dans des silences qui durent des cathédrales de râles. Je suis celle qui n’appartenait à personne, pas même à elle, celle qui collectionnait les solitudes comme des timbres à coller sur les lèvres. Maintenant, c’est moi la collectionneuse, celle qui a collé dans son cœur un autocollant marqué bonheur au marqueur, avec un prénom d’empereur. Colle forte, pour les moments de pluie, colle légère de sourire. Le reste, scotché dans ma mémoire amère et sucrée, confiture d’amitié assaisonnée de vent, trottoirs qui courent trop vite pour nos pas, et des rires qui glissent comme des mégères folles. Je suis celle qui rêve d’un cercle de femmes, d’une double touche noire blanche, d’un lac qui tressaille. Je suis l’eau qui coule le long de votre cou quand la pluie d’été se met à tomber, le chatouillis de l’herbe sous les pieds, la froideur d’une cascade, l’atmosphère des vitres ouvertes d’une voiture.
Je suis M… Se faisant la rousseur, se contemplant l’herbe des yeux, riant de sa blancheur de peau. J’ai les joues qui sont dragées, les courbes qui s’en mêlent. Je me vomis, je m’adule, j’électrifie ma peau, et je coule jour et nuit, redressant mes hanches pour mieux rebondir.
Si l’on vous demande qui je suis, dites un témoin. Une Morgane à la partie blanche qui se cache, une Viviane emmêlée dans ses roseaux, une dame de puits trop bavarde, une lavandière qui n’aime pas le goût du sang, une croqueuse qui empoisonne plutôt qu’elle endort. Je suis une Eve qui ne mange que des poires, une Sarah qui meurt jeune, une Dalila qui a des remords, une Bethsabée qui sanglote, une Judith qui collectionne les têtes dans sa tente, une Esther qui illumine, une Suzanne qui va au bain en maillot… Je suis femme-fille ,en fleur de cerisier, en pomme d’amour de fête foraine. Je suis le printemps de Botticeli, je suis une peinture de Moreau, je suis décousue par une couturière folle, enfilée sur un mannequin en bois patiné, grincée sur un parquet qui frotte, piétinée sur un carrelage qui glace, engloutie dans les grincements d’un lit. Je suis la dernière goutte de café le matin, le chocolat du soir, la fringale de quatre heures, l’odeur de pain dans la rue, le bruit des talons sur les pavés, le soleil le matin sur le visage, la lumière de la lune une nuit de printemps, une meule de foin roulée dans les champs. Je suis l’ombre de votre arbre, l’eau croupie du puits, la mousse sur les vieilles tombes, les miaulements des chats des cimetières, les plaintes des maisons la nuit.
Je suis le livre que vous froissez sous vos doigts, celui qui vous attire et vous rebute à la fois, que vous ouvrez cent fois par jour, pour mieux le jeter dans un coin de la chambre quelques secondes plus tard. Je suis une collection rare, ou trop utilisée, je suis un livre en papier recyclé, une presse qui ne fonctionne plus, une nouvelle pas fraîche…
Et je suis.

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[Encart à bazard de texte]

Un, deux, trois. Trinité celtique, rire de la déesse mère. Laisse moi prendre la barque pour l’île, et plonger mes mains dans le lac, j’attraperais les rites dans mon filet, et la nuit j’étendrais mon manteau sur la pierre, et j’attendrais. Elles arrivent, silhouettes sombres sous fond de lune, croissant bleu esquissé sur le front lisse. Elles ont tressé les cheveux comme leurs souvenirs, porteuses de coupes d’eau reflet. Le cercle se reforme, et les vibrations montent, le vent vient emmêler leurs cheveux, et le rêve commence. La voix monte, calme et sereine, baume apaisant pour les âmes troublées. Au fond du lac proche, elle sommeille, mais écoute. Et la dame blanche et noire est au centre. Double, double, elle illumine, au centre elle fait les éléments. Les étoiles semblent étinceler pour parer sa robe sombre, et la lune contemple son enfant, cœur de mère qui bat au rythme des paroles psalmodiées. Passe le temps à l’envers, je suis vêtue de sombre, entrée dans le cercle, et les pieds cloués. Les visages semblent se préciser, elles m’ont intégrée, et je suis dame de l’île. Sourire aux lèvres, j’ai réussi. Je suis femme de l’île. Celle des pommiers, et au loin, des cloches sonnent. Nous n’y prêtons pas attention, anciennes prêtresses, venues d’ailleurs et nulle part, conservées par une foi qui ne s’éteint pas. Demain, le printemps nous étreindra. Demain.

Elle enfile des perles. Elle ne sait plus faire que ça, regard dans les failles, perdue dans un monde dont elle ne sort plus. Attente de la barque, celle où il sera, LUI, son autre, son amant, son chevalier des jours perdus. Mais il ne vient pas.
Aujourd’hui elle a quitté le village, laissant au passage ses peignes d’ambre, ses vieux rires, son manteau de petite fille paumée, et eux. Les autres. Ils ne sont pas lui et leurs regards lui font mal. Et elles, ces femmes aux rides déjà trop prononcées, aux ventres déformés crachent leur venin sur son cou baissé. Infâme. Impure. Sorcière. Elle crie mais personne n’entend. Et ses yeux verts parlent. Sa chevelure longue se déploie. Ses mains s’électrifient. Le vent se lève. La pluie se bouscule. Les hommes ne parlent plus. Elle est en colère. Elle devient noire. Sa bouche se fait plus rouge. Ses dents pointues. Elle a des envies de morsures, de tueries. Puis son image dans sa tête. Ses cheveux retombent, et elle se sent lasse de tout.
Aujourd’hui elle a pris le sentier. Vers la rivière. Elle veut vivre en face de l’île. Leur île. Assise sur un rocher elle pourra attendre son retour. Bientôt elle le sait il sera la. Et ses mains. Sa bouche et son rire. Et tout recommencera. Elle sera à nouveau claire. Les mains sur les perles, elle continue. Elle enfile. Elle a parfois l’envie de s’étrangler avec le collier qui se fait de plus en plus long. Descend jusqu’à ses pieds. Il l’appelle.
Elle entend la voix. Voix douce. Puis menaçante. Elle frissonne. Dans le bas de son dos, ses souvenirs lovés. Ils serpentent. Elle crie. Et se mêlent les voix. Rauques. Violentes. Perdues. Perpétrées. Crispées. Volées sur les rochers.
Le rocher. Là -bas au milieu de la rivière. Il l’appelle. Elle le veut. Envie de s’y installer. Elle prend ses parles et les enferme dans sa robe. Dévoile ses jambes. Elle ne fait plus attention. Et elle s’enfonce dans l’eau. Glacée. Elle n’a plus froid pourtant. Elle sent la chaleur du courant monter en elle. Orgasme. Et elle monte sur le rocher. Les perles se sont éparpillées dans la rivière. Elle veut les ramasser.
Alors elle flotte. La tête sous l’eau. Il n’y a plus que ses cheveux qui sont visibles. Etincelants d’ambre liquides. Au fond elle voit une barque. LUI.
Chaque nuit elle grimpe sur le rocher. Elle est blanche maintenant. Bleue aussi. Et elle les appelle. EUX. Elle goûte. Savoure. Se nourrit. Et elle ATTEND.

2 réponses

  1. Avatar de Nemhain
    Nemhain

    Merci…

  2. Parce qu’il y a des mots qui sont proches.
    De quoi, on ne le dira pas.

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