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Il a bondi sur moi le sabre en avant, je me suis écarté en arrière dans une posture à la souplesse étonnante et la lame a sifflé sous mon menton. Je ne me connaissais pas de tels réflexes. La lame fendit l’air encore une fois à une vitesse ahurissante mais j’ai esquivé de justesse d’un bon en arrière. Je me suis senti vif, puissant, je contrôlais tous les muscles de mon corps d’un simple clin d’œil. A vrai dire, je me sentais enfin vivant. Il n’y avait que le sabre, les mouvements d’Igor, mes mouvements dans le silence blanc de la pièce, et la lame volant autour de moi sans réussir à m’atteindre. J’aurais voulu rendre la pareille mais rien, pas un objet n’aurait pu me servir d’arme. En fait, j’étais là pour jouer la victime, on avait tué mon corps et là on cherchait à se débarrasser du reste. Une certaine vision de l’enfer tel un combat immaculé infiniment rejoué. Mais j’ai décidé que non, qu’enfin je valais plus que la mesquine destinée me collant à la peau.
Lorsque Igor a tenté de me frapper une fois de plus, j’ai prévu son coup qui remontait comme pour m’éventrer de bas en haut, j’ai basculé une fois à gauche puis à droite et je me suis trouvé collé à lui, mes mains bloquant son poignet. C’est qu’il transpirait le bougre sous sa soutane. Ce détail me réconforta. Il vivait donc bel et bien, ce corps au bout de cette lame. Sous la capuche, des yeux totalement pris au dépourvu.
« Mais, comment est-ce possible ? », bégaya-t-il.
« Je ne sais pas, très cher, mais tu es d’une affreuse lenteur. »
Il essaya de se dégager mais plutôt que de le laisser reprendre le bal je me retournai et le fis basculer sur moi en lui tordant le bras. Il était à terre. Je tenais son épée. En définitive, si elle avait mon nom gravé dessus, c’est sans doute parce qu’elle m’appartenait. Igor ne se calma pas pour autant, d’un bond il fut debout et l’instant d’après fila droit sur moi. Trois mètres au plus nous séparaient, mais j’eus encore cette rassurante sensation de lenteur de mon protagoniste. Assez comique en réalité, ce type se déplaçant à une vitesse clairement surhumaine mais en même temps pataugeant sur place. J’eus même le temps de me faire la réflexion qu’il me paraissait si lent parce que j’étais encore plus rapide. Il arriva sur moi à point pour s’empaler sur le sabre dont le déplacement au bout de mon bras fut quasi instantané. Amusant. Un filet de sang sur les dalles de métal poli. Je venais de tuer un homme pour la première fois, juste après ma propre mort. Inquiétant. Igor chercha encore à m’expliquer son désarroi mais au lieu de cela il ne réussit qu’à s’effondrer.

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