28.

Il titube, s’assoit, me toise de ses yeux hagards, d’une main malhabile, il cherche à se redresser. Il bafouille quelques phrases incohérentes et se plonge dans la douceur relative du coton couvert d’une toile satinée. Son costume beige clair en lin, froissé à cette heure-ci, comme il se doit, est souillé d’une substance nauséabonde qui s’auréole de bile jaunâtre et malodorante. Il regarde ses mains tremblantes, la crasse sous ses ongles manucurés, il caresse nonchalamment son annulaire sur lequel survit le spectre d’or et de platine d’un amour révolu. Il tente de parler, sa voix s’éraille, ses yeux se piquent d’humidité. Il a un haut-le-coeur, j’ai peur qu’il ne vomisse, il se couvre le visage. Je l’entends hoqueter, ne me résous à entamer la conversation, trop digne qu’il doit être, pour assumer d’avoir pleuré.
Il regarde par la fenêtre, l’incendie de néon qui brûle au travers de la nuit. Son visage s’éteint, s’illumine, dans un chaos par trop ordonné, au rythme de la publicité. Des yeux, il caresse la réalité au travers d’un écran de plexiglas griffé. La pluie, telle son âme, commence à tomber, s’écrase sur le trottoir, et dans un ultime soubresaut, tente de se redresser mais s’affale sur l’asphalte, piétinée. Il fouille ses poches, en quête de liquidité. Finalement je me tourne vers lui, mon visage grimé d’un sourire surfait.
-Où désirez-vous aller?
-J’ai pris la sortie 78, j’ai été très déçu, on ne part jamais de nulle part, on entre toujours quelque part.
Il pose un billet de vingt euros sur le siège passager, me salue avant de s’en aller.
Dans le silence du vide qu’il m’a laissé, je lui soupire ce que j’espère être une parole de réconfort
« A demain soir, comme tous les soirs, avec plaisir. »
Avant d’empocher le billet comme une prostituée…

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