30.

La vie est un cirque rituel répété inlassablement, le monde change, varie, se pare de faux-semblants, se multiplie, s’échange, s’extorque, se défend, vibre, fuis, vit, meurt, plus rien n’est important. On joue, inlassablement, dans un bac à sable, avec des lego, avec un travail, avec un avenir, avec un passé, avec un amour, avec une huître, avec un clavier, on invente chaque jour de nouveaux moyens de se concevoir, de se voir, de s’asseoir, de respirer, de crever, on joue et on perd le pourquoi, on perd la causalité, on perd l’effet, on en perd la conséquence, on en perd le rejet, on s’injecte des doses de réalité, de futilité entremêlée de subtilité…
Une vie est bien plus à facile à détruire qu’à construire…
Pas de regrets, peut-être un peu, mais ce qui fait mal, c’est ce sentiment de perdre sa virginité… Se sentir violé par l’existence inodorante, bien qu’oppressante, de milliards de connards que l’on ne connaît pas et que l’on ne connaîtra jamais. Ce qui fait mal, c’est d’avoir vendu son âme et de se retrouver froissé, partagé, mitigé, oublié puis effacé par ce que l’on a cru apprécier, et même si on l’a appréhendé, la chute n’en est pas moins douloureuse.

Les programmes salvateurs et avilissants du prime time avaient laissé place à une mire évocatrice, et moi, je contemplais benoîtement cet écran télé sans plus d’utilité. Il y eut quelques secondes, quelques minutes d’un mutisme religieux, puis sept trompettes sonnèrent simultanément depuis les cieux. Un coq chanta et l’hallali se déclencha.
Un simple cri hystérique, loin, très loin au dessus de moi, une cavalcade, des sanglots, des râles. Mon plafond tremblait, mon lustre de faux cristal de Bohème cliquetait.
Hagard, j’attrapais la télécommande posée sur l’accoudoir de velours côtelé et fit taire le silence de la télé. J’allumais une Lucky Strike, coup de chance, au moins il m’en restait. Je pensais à mon toubib qui avait passé sa vie à me mettre en garde contre ce poison à inhaler, avant de succomber à une cirrhose foudroyante.
Enfin je pus détourner mes yeux de cet écran placide, j’observais, rien n’avait changé. Pas d’ange de la mort à mes côtés, pas de ténèbres où s’enfoncer. Je finis mon verre de whisky, mis ma veste que je venais de récupérer chez le teinturier et lâchai ma clope à demi consumée sur la montagne de papier qui s’évertuait à annexer ma salle à manger.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…