49.

Déclic, accélération latérale, déclic, secousses comme dans un wagon marchandise, grincements, montée écrasante. J’ai déménagé sur le secteur ETC, un espace « littéraire ». Une bleue m’a tout de suite souhaité la bienvenue sans faire de commentaire particulier sur ma fiche. Plus d’alcôve ni de citoyens à moitié nus, mais la succession ininterrompue des rayonnages d’une bibliothèque, des allées se perdant au loin sous la lumière discrète de lustres descendant d’un plafond plongé dans l’obscurité, trop haut ou inexistant. Le sol en bois sombre craque par endroits. Un citoyen croise mon allée, plongé dans sa lecture.
« 55412 est demandé à l’Ecritoire, 55412 ! »
« Salut ! »
Un barbu plus petit que moi, souriant, style italien jovial.
« Tu viens d’arriver sur le secteur toi, tu m’as l’air un peu perdue, non ? »
« Ouais et j’en ai rien à foutre vois-tu. »
« Tu ne pense pas être au bon endroit ? »
« Je ne sais pas et toi ? »
« Je n’y pense pas trop. »
« Et bien moi j’y pense vois-tu… Je pense à celles qui s’amusent à la surface, celles qui tout à coup dans leur vie font plein de rencontres, explosent de joie, sautillent comme des sauterelles d’un petit bonheur de merde à l’autre, et elles se pâment de vivre soudainement si épanouies, d’adoooorer tout ce qui les entoure en respirant la fraîcheur nocturne d’un été, et puis tout lui est permis à celle-là car elle peut vagabonder d’une illusion à l’autre en étant convaincue que la prochaine sera meilleure que la précédente, elle suce le gland exceptionnel de l’incongru, et elle aime ça, et elle en redemande, parce que ça fait du bien de se sentir un peu libre, tu sais de cette liberté qui fait aimer les stations essence sur l’autoroute parce qu’elles sont des promesses d’avenir, de cette idée ridicule de croire que l’idée suivante te portera encore plus haut, et puis tu te sentiras aimée et heureuse, même si c’est faux peu importe tu le sentiras comme cela, tu auras plein de gens autour de toi pour chercher ce bonheur que tu étales grassement parce que les croissants sont meilleurs après une bonne baise qu’après une baise tout court. »
« T’as pris un truc ? »
« Et puis il y a le pâté de foie gras que tu peux étirer langoureusement sur le corps frétillant d’un inconnu qui sur l’échelle de l’évolution a la valeur d’une demi baguette, mais peu importe parce que tes désirs il faut bien les mettre quelque part et que vois-tu les fêtes populaires ça va un moment mais après il faut étaler, étaler la richesse de ton cul pour en faire saliver d’autres qui n’ont pas plus d’espoir que toi, si ce n’est, folle illusion, d’en amadouer pour qu’elles fondent devant le pâté de gras, le mélangent à la sauce de l’illusion d’être aimée. Et plus tard quand t’es bien sûre que tout va bien et que tu penses, dans un geste de défi à l’humanité, à procréer, alors que la bave coule sur l’épaule de ton voisin tellement tu te sens belle, alors à ce moment tu peux te dire « j’ai de la chance », parce qu’il y a un gland le long du quai qui t’a promis de pointer entre tes jambes. »
« Viens on va au Scanner prendre un verre. »
« Non mais dis-moi pas que tu n’en a pas déjà rencontré, des poufiasses heureuses ? Celles qui s’en vont avec le sourire retrouvé si facilement pendant que toi tu essaies juste de soulever ton combiné ? Mais tu sais bien, celles qui font semblant d’aimer avec leurs grands yeux qui te regardent, tellement perdues que tu te croirais leur sauveur, avant qu’elles ne sautillent d’un autre sourire à l’autre, d’une autre mini-jupe à l’autre, l’air de dire, avec leurs grands yeux : je suis si triste, aimez-moi svp. »
« Non je n’ai jamais croisé de telle salope, désolé. »
« Et bin mon vieux, tu sais pas ce que tu rates… »
« Je rate quoi ? »
« Pas grand-chose. »

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