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« On ne se rend pas compte à quelle profondeur on descend. Ça se passe par paliers. Il y a d’abord les moulures métalliques et fleuries de l’entrée, jaillies des nostalgies végétales d’un Hector Guimard il y a un siècle, pour ceux qui ont la chance de voir ces nostalgies préparant mal à l’ère du sous-sol. Ensuite, c’est la couche du passage et là quelques escaliers suffisent, généralement dix mètres sous terre. Ironie du sort, parfois il faut grimper pour mieux s’enfoncer, le métro aérien, une utopie américaine que les Parisiens avaient sagement refusée, tout droit importée de Brooklyn par les paysagistes urbains, façon Barbès ou Quai de la Gare. Je disais que la première couche où on s’enfonce est celle du passage, celle du test. Celle du ticket. Avez-vous droit au train fantôme ? A la naissance du métro parisien, on parlait du « nécropolitain » et de ses catacombes forcées pour les pauvres gens, ces taupes. Le « nécropolitain » fut pourtant le grand œuvre de la ville de Paris et les gens devinrent avec les années des taupes sans même s’en rendre compte, ce qui est le propre d’une taupe. Il semble naturel, n’est-ce pas ?, qu’on se fuit dans le sous-sol, on s’y cache parce que c’est la terre qui tombe sur le cercueil et c’est un bruit paisible, aussi doux qu’une rame vide qui passe lentement, sans s’arrêter, et s’évanouit dans un tunnel avec ses lumières inutiles. Comme dans beaucoup d’endroits cachés, c’est là qu’on y trouve la vie. Ce qui s’est passé, ce qui est révolu, oublié, interdit, un peu comme les archéologues cherchant dans les couches pour comprendre les civilisations mortes, ou ceux qui déterrent ces monstres, ces dinosaures. Plus on entre, plus on revient sur soi-même, et de mettre son ticket dans la machine, dans l’engrenage, c’est un peu comme d’accepter de ne s’engouffrer nulle part. Mais nous ne sommes qu’à dix mètres sous le sol vous vous rappelez ? On remarquera à ce stade que les tourniquets ne tournent que dans un sens, il est donc impossible de revenir directement en arrière. A priori c’est pour une raison purement pratique, pour diriger le flux des passagers, c’est comme les néons, on pourrait aussi croire qu’ils sont là pour une raison purement pratique, en cas de panne du métro au milieu d’un tunnel, pour diriger le flux des passagers vers les sorties de secours, mais ce n’est pas le cas. Ils sont là pour nous éblouir un peu, pour qu’on ne voie pas les différents signes – je préfèrerais parler de sceaux – marquant les murs et les portes sur les flans des tunnels. Quant aux tourniquets, ils sont là pour compter, pour mathématiser le flux et le comportement des taupes, afin d’effectuer ces fameux travaux qui de temps en temps plongent dans le néant une station entière, soi-disant « pour améliorer votre confort. » Ce qui n’est pas tout à fait faux puisqu’il s’agit de mieux canaliser les énergies des passants afin qu’ils ne voient plus ce qui se déroule dans leur dos. L’homme-affiche était proche de la vérité.

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