59.

Je l’ai suivie tout au long de l’incohérence de ses jours.
Son ex s’était tué et elle l’avait enterré dans le jardin de la maisonnette, et depuis ce temps elle baguenaudait dans les catacombes de Paris, comme si sous terre un secret devait lui être révélé. Avant de me rencontrer, elle se promenait le plus souvent en compagnie d’une bouteille de vodka et se perdait. La fois où je l’ai trouvée elle avait découvert une crique souterraine où l’eau azur était chauffée par une conduite, et elle s’y était baignée nue.
Décider de partager sa maisonnette en toute a-mi-tié avec moi, qui d’abord avais été son guide dans les catacombes, lui avait paru naturel. Mais après le suicide de son ex elle se lâchait un peu, se promenant en slip le matin, buvant son café en croisant et décroisant les jambes, rassurée seulement par le grondement du prochain métro sous la maisonnette bordant la Petite Ceinture, près de Maison-Blanche. Alors forcément, un matin, je l’ai prise sans même la forcer sur la table de la cuisine, profitant du passage d’un autre métro pour la faire jouir. Elle adorait « le subtil tremblement de ta verge au fond de moi lorsque les fondations de l’immeuble vibrent doucement ». Et puis elle me guidait des ses hanches comme je l’avais guidée dans le monde d’en dessous, avant de la laisser faire sa première descente seule.
Je ne lui ai pas dit que je l’avais ciblée et suivie. Je ne lui ai presque rien raconté de moi, lui faisant croire que je travaillais toujours comme trader à la Défense : tous les matins je m’habillais de bonne heure et m’enfonçais dans le métro sans en ressortir avant le soir et Angeline m’observait dans mon costume noir, un sourire savant accroché aux lèvres, ajoutant à son silence : « Faudrait que tu partes définitivement un jour, je peux descendre dans les catacombes toute seule maintenant, je n’ai plus besoin de toi », tout en se servant un autre verre de vodka, matinale comme elle était. Délaissant son travail, elle descendait de plus en plus souvent, dans le métro ou dans les catacombes. Sa démission s’est faite lentement, longue série d’absences injustifiées, de plus en plus fréquentes.
A côté de son poste de responsable des ressources humaines à la RATP, elle se maquillait, se déguisait et jouait du violon en regardant la foule s’amasser sur les quais. Elle jouait du Chopin la plupart du temps, des pages tristes, en toute illégalité, mais avant que les caméras ne lui envoient des agents de la Sécurité, elle avait assez de temps pour remplir son panier de petites pièces : le gens aiment voir une belle femme avec ses bras si fins et sa moue tout à la fois pulpeuse et concentrée jouer du violon parmi eux, à défaut de l’écouter ils la remarquaient. 

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