Soirée avec mes deux derniers amis

Je passe une petite soirée avec mes deux derniers amis. Et même s’il me paraît vraisemblable qu’une personne au caractère comme le mien ne possède pratiquement pas d’ami, je m’en étonne parfois à part moi car somme toute je suis quelqu’un d’assez intéressant, ouvert, patient et attentif. En tous cas il y a plein de gens totalement mauvais, salauds et cons qui ont beaucoup plus d’amis que moi. Anne-Laure* est sur le point de partir de cette petite soirée entre amis, lorsque je lui demande pour rire si avec son nouveau copain ils vivent encore chacun dans leur appartement, ceci évidemment pour suggérer qu’ils sont j’imagine souvent fourrés chez l’un ou chez l’autre. Elle maugrée qu’il dort souvent chez elle. M’ignorant ensuite ostensiblement elle organise avec Alina* (mon autre dernier ami) un petit après-midi à deux "si elle passe dans le quartier". Je me sens comme une merde. Si sur les deux derniers amis qui me restent il y en a un qui préfère m’éviter, c’est vraiment que j’ai un souci quelque part. Un grave souci. J’ai fait la remarque et Anne-Laure a réagi en me piquant d’abord d’un ironique : "Ta positivié me fait vraiment du bien, David. J’en ai vraiment besoin", devant mon ahurrissement, elle poursuit d’un condescendant : "Tu sais très bien que ça t’arrive de me tirer en-bas, d’être agressif et déprimant". Ce n’était peut-être pas exactement ses mots – l’émotion me coupe la mémoire – mais à peu de chose près. J’étais arrivé à cette soirée le coeur sur la main, ouvert, souriant je crois. Lorsqu’Anne-Laure a fermé la porte trois quinze-tonnes d’affilée m’étaient passés dessus. Ou la définition de "se prendre une volée de baffes", ou "tomber des nues". Depuis le début de l’année je l’ai vue trois ou quatre fois à tout casser; si à ce rythme-là j’arrive encore à créer de tels sentiments négatifs, il vaut mieux effectivement que je n’aie aucun ami. Théodore* et Chris* doivent se frotter les mains; je suis bien obligé de leur donner entièrement raison, j’admets que si ces deux amis lointains n’ont plus souhaité me voir c’est parce que je suis un mauvais ami, parce que "je tire en-bas". Même envers ceux qui sont le plus proches de moi je dois inspirer une automatique méfiance, une sorte de crainte sourde, un potentiel inné de cruauté, une vague toujours en approche de férocité. Cette peur ne fait sans doute que refléter ma propre peur des autres, au point que même lorsque je me sens ouvert et disponible je me ramasse des baffes parce que ma plus proche amie s’attend toujours à un sardonique volte-face. Je me demande si Jérôme* ne m’évite pas depuis toutes ces années pour les mêmes raisons, peut-être qu’en quittant Paris du jour au lendemain je lui ai porté un coup au coeur, il s’est senti abandonné sans que de mon côté je ne me rende compte de rien. Je me demande si Nino* m’a toujours vu comme une bouilloire en permanence en train de siffler à l’intérieur, si Lawrence* ou Sylvio* me tolèrent par politesse, bref tous ces amis que je ne vois plus, s’ils forment une ronde de méfiance suffisamment loin de moi, le pestiféré. Il faudrait peut-être que je m’accomplisse, que je devienne pleinement moi-même, que je me rende compte finalement de qui je suis, aux regards de ceux qui m’étaient le plus proche, on appelle cela "en son for intérieur", le cynique mesquin et dangereux qu’ils évitent. M’enfermer dans une pierre. A moins que ce ne soit déjà la cas.

*prénoms d’emprunt

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…