Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : A. | Nietzsche

Je suis nombreux. Je bois des cafés pour me réveiller parce que je me couche parfois trop tard à cause du film à la télé. Je me souviens de Capitaine Flam et de Goldorak, grands moments de flamboyance enfantine. Je ne crois pas en grand chose, ou ai envie, mais en fait je ne sais pas trop. Il y a parfois, trop rarement, des détails qui attirent mon attention, comme ce gosse jailli d’un immeuble délabré et en me bousculant la cuisse dans son regard cet éclat sévère de comptable acharné et monomaniaque; il doit avoir 7 ans. J’essaie d’être honnête, bon avec mon entourage, écologique, économique, utile. Généralement, j’ai fait l’université et je suis plutôt intelligent dans mon genre. Même si ça me débècte, mais c’est parce que je n’ai pas – encore – vraiment les moyens, je suis bien obligé d’aller acheter Ikea. Ou alors j’ai déjà largement les moyens mais j’aime Ikea parce que même si l’enseigne réunit sous sa douce aile bleue un consumérisme effréné je respecte le concept qui est intelligent. Je respecte d’ailleurs ceux qui réussissent en général. J’associe souvent réussite sociale à intelligence. Souvent aussi, mon travail est un peu ennuyant, mais j’essaie de compenser par des projets personnels, par une vie privée bien garnie, intéressante. Qui ne me satisfait pas. Il me manque toujours quelque chose de la majesté de Goldorak, de la violence de ce gamin de 7 ans, ou j’admire ces neirds enfoncés dans un univers qui leur est si propre, immanent à leur activité elle-même immanente à leur pensée, comme des techniciens dont on ne comprend rien ou des chercheurs penchés indéfiniment sur de mystérieuses éprouvettes. Je recherche la passion dans un univers en somme assez fade, ceux aux destins tracés comme des filets d’Airbus, sans toutefois chercher trop fort ou trop loin: j’ai horreur des asiles psychiatriques. J’aime acheter des choses, lis peu, critique beaucoup les médias et la masse tout en acceptant modestement de faire partie de tout ce système, dont les dirigeants, qui sont je le sais souvent empêtrés dans les fils de leur propre pouvoir, me sont presque totalement indifférents. Lutter contre l’indifférence serait pour moi un grand combat mais pour beaucoup je ne m’en rends pas compte. Capacités doublées sonne bien à mes oreilles, c’est pourquoi je rêve en jouant au loto, ne me souviens pas de mes vrais rêves, prépare soigneusement mes vacances, et au bout de quelques années de relations, quand j’arrive aussi loin avec patience et entêtement, contre ma propre nature si encline aux divorces, j’utilise Internet pour oublier. Tous ces rêves que j’ai à oublier! Un cynisme que j’abhorre parce qu’il est générationnel et banal me permet néanmoins d’apprécier l’idée selon laquelle Dieu n’est pas mort mais Nietzsche, lui, oui.

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