Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : K. | Comme d’habitude

D’habitude je préfère les oublier, mes habitudes. Parce que forcément au coeur de mes habitudes se terre un lien fondamental entre mon passé et mon avenir. Je veux dire que c’est au coeur des habitudes que je pourrais vraiment changer ma vie, mon avenir, changer de vie par exemple. Et on veut tous changer de vie, souvent ou parfois. L’illusion la plus stupide me ferait déménager ou partir en voyage pour toutes sortes de prétextes futiles: faire de l’humanitaire, découvrir d’autres cultures, partir à l’aventure. Un minimum de lucidité et de connaissances permet pourtant de se rendre compte que ce ne sont là que des fadaises d’instants où je me sens perdu. Le coup de la besace de La Fontaine… Il reste, à la limite, l’idée plus noble de la Quête, malheureusement je n’ai rien après quoi courir. Alors je me responsabilise, j’assume comme on dit, et c’est là qu’interviennent les habitudes, et la conscience du véritable changement que je pourrai opérer en moi. Mais cette prise de conscience s’accompagne d’un doute. Tout changer de mes habitudes, ne serait-ce pas échanger une vie contre une autre qui finalement me lasserait autant que celle-ci? N’est-ce pas l’idée en elle-même de vouloir tout changer, dans son absolu et sa totalité, qu’il faudrait que je change? Cela signifie que ma volonté elle-même est un leurre. Qu’avant même de changer mes habitudes, mes actes et mes paroles, à l’image des conseils du Talmud, il me faudrait changer ma pensée. Or changer ma pensée me ramène à l’envie du choc forcé, artificiel, incarné par un changement brutal de contexte. Comme un départ, un déménagement, un changement d’identité, tout quitter: la mort artificielle. Ou le point de départ de ce besoin et de ma fuite. Si je pouvais fuir à une vitesse supra-physique aux confins de l’univers je sais pertinemment qu’après quelques instants, comme si j’avais fait le tour du globe, je me retrouverai à mon point de départ. Ici et maintenant. Ici et maintenant… Est-il possible, ici et maintenant, de changer le cours historique de ma pensée, de mon être? Petit à petit, me répondent les bouddhistes et autres "Hindonisants". Pas à pas. Coelho et sa cohorte qui parlent du Chemin et non de l’objectif… A qui je réponds que ce chemin aussi sera ponctué de frustrations, et que les changements qu’il propose eux aussi s’installeront en habitudes et à terme et par dépit en besoin d’en changer. Le chemin n’est pas plus noble que l’issue qu’il jette à l’horizon. A mes yeux, la déperdition, la condamnation voulue et entretenue de certains artistes qui à travers leur choix radical de mourir par l’art ont décidé de remplacer la vie entière par leur ego et sa production, serait plus noble, plus "haute". Dans un soupir de dédain envers ma propre pensée, je me rends compte aussi que cette "hauteur", cet art frauduleusement arraché au temps comme une vaine parcelle d’éternité, n’est qu’une illusion supplémentaire que j’entasse avec peine au sommet de ma pensée. De mes habitudes. Hélas se tuer est trop incertain, trop absolu face aux petits plaisirs imprévisibles que le hasard auquel je ne crois plus peut encore m’apporter, trop lâche ou trop égoïste, parce qu’en définitive noyé dans l’abîme de mes habitudes flotte cette bulle improbable d’espoir: la mort artificielle. Sans doute ce qu’il appelait l’éternel retour. Comme d’habitude.

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