Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : Laetitia

En m’asseyant dans le train j’ai eu un flash comme dans les films où le héros a une vision (d’ailleurs je vis un film et je suis un héros) que Laetitia interpréterait tout de suite comme un miracle et je l’ai vue virvolter lentement dans un jardin anglais taillé en labyrinthe, vêtue de mousseline blanche et souriante, lasse et souriante. Parce qu’elle danse dans un univers à part, où elle s’est perdue. Mais c’est une perte éternelle et glorieuse que celle de son labyrinthe: il mène vers de sombres forêts où personne n’ose vraiment se rendre, que tout le monde critique et dénigre. Non loin de la folie. Une analyse purement cérébrale de Laetitia la desservirait; beaucoup trop de gens inintéressants la traiteraient de folle, pour simplifier (parce que c’est très arrangeant la folie comme raison), alors que d’autres plus enfermés dans leur système, argumenteraient, professeuraux… Cas de dissociation structurelle de la personnalité du à un choc émotionnel violent (trauma, en l’occurrence une rupture) l’ayant projeté vers son principal référant éducationnel, la religion; cette attitude introspective s’est lentement changée en enfermement supporté par une glorification religieuse béate de nature décompensatoire; la prolongation de l’état dissociatif jusqu’à l’aliénation pathologique à caractère antisocial n’est pas due au choc de la rupture mais à la recherche d’un chemin unique, d’une voie particulière, induite et accentuée par le trauma; cette recherche provient de la frustration du patient à ne pas réussir à vivre une vie rêvée: vie d’artiste, succès, reconnaissance, besoin d’être admiré, aimé, voir suivi, vie sentimale réussie; d’où un sentiment d’échec totalement enfoui dans la ferveur religieuse permettant ultimement au patient d’échapper au trauma et à la persistance d’un état dépressif refoulé en les percevant comme une forme de distinction spirituelle unique. Je pourrais continuer… Mais ce n’est pas "ma" Laetitia ça, me rote du regard le serveur, qui aujourd’hui semble souffrir de quelques soucis digestifs. Cette Laetitia qui s’en allait de part le monde avec tout le charme naturel qui l’accompagne partout, à la conquête des étoiles comme on dit dans les milieux autorisés, le rêve de devenir actrice, car c’est bien là le rôle qui lui sied le mieux, le métier capable de canaliser d’elle aux autres tout ce charisme féminin qu’elle peut dégager. Au lieu de cela je contemple aujourd’hui un épouvantable champ de bataille quand je l’observe, ma Laetitia, avec cette vapeur matinale flottant dans l’odeur de la peine et du sang. Et je sais que j’ai sous les yeux le résultat d’un destin déchu, repoussé, évité. Moi aussi finalement je ne vis pas exactement ce à quoi je me préparais (monter les marches de Canne, écrivain célèbre, adaptation au cinéma etc etc), nous sommes nombreux à ne pas vivre ce qu’on nomme communément les "rêves de jeunesse": le succès des magasines people est le témoin de cette déception générale comme du rêve permanent qu’ils provoquent. Mais j’ai eu des enfants, un peu par hasard certes, mais voilà , avoir des enfants est un phénomène qui m’a forcé à faire des concessions, à jouer un jeu diplomatique serré avec la réalité. Tandis que Laetitia, c’est un peu comme si sa rupture il y a 10 ans lui avait dit: "Tu ne joueras pas pour le metteur en scène dont tu es amoureuse et tu ne seras pas actrice. Tu vas arrêter toutes ces frivolités maintenant et prier pour ton avenir. Basta." Alors elle a prié, ô oui elle a prié, prié le long de cheminements intérieurs interminables, et elle est revenue à cette réalité commune en entamant des études de sciences humaines. Et cette formidable capacité de briller au-devant des autres s’est lentement changée, par dépis, en rêve absolu de sanctification; l’alcool, la drogue, la déchéance etc, tout cela était trop banal pour Laetitia qui a cherché la canonisation pour remplacer la simple illumination des feux des projecteurs… Si j’étais son metteur en scène je dirais que cette scène-là il faut la rejouer. Que tu peux heureusement toujours la rejouer. L, a, e dans l’a, t, i, t, i, a. Ô miracle.


Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.

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