Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : Théo

C’est le meilleur ami qui me déteste que j’ai. Parce qu’il y a aussi d’excellentes amitiés qui ne fonctionnent pas. Même si on parle plus volontiers d’amitié quand on se voit de temps en temps, il ne faudrait surtout par croire que l’existence d’une amitié est conditionnée à de régulières rencontres. Théo, ça fait des années qu’on ne se voit plus: c’est parce qu’il ne veut pas embarrasser sa vie de tout ce qui pourrait le retenir, le tirer en bas, et moi je suis bien trop destructeur pour lui, parce qu’il y a 15 ans j’ai porté préjudice à une association dont il était responsable et il m’en voudra même à Noël. Je soupçonne qu’il y a aussi de sa part un malaise plus subtile. Entretenir de trop longues intimités serait donner trop d’importance à une seule personne alors qu’il y a l’humanité entière qui l’attend, trés impatiente et énervée de voir qu’il n’arrive pas. Et de donner trop d’importance à une seule personne ce serait aussi donner à cette personne une certaine forme de pouvoir sur lui, immanent à l’épaississement de la relation. Ce qui serait intolérable. Derrière la tignasse loufoque et l’habit excentrique, l’ardeur qu’il déploie à maîtriser sa vie est impressionnante. C’est d’ailleurs dans ce domaine, l’habit, que je suis forcé de lui concéder une innovation moderne: il a le look de l’organisateur-administrateur d’évènements du 21ème siècle, qu’on pourrait résumer à une sorte d’excentricité sombre sur un regard intense et lucide. Quant à l’ardeur qu’il met dans la quête d’argent pour aider le monde à s’améliorer et à collaborer – même sans les nazis – et ainsi se poser en leader alter-mondialo-alternatif, elle m’enrage. Je n’aurais alors qu’une constatation amère, unilatérale: toute sa personnalité unique aurait eu tellement plus d’influence, d’impact, de force sur les autres s’il était resté accroché plus longtemps à son idée de départ. Etre metteur en scène. Mais peut-être sous des dehors d’artiste ultime n’a-t-il jamais eu assez de créativité ou d’audace pour cela, trop inquiété par sa survie et, pourquoi pas avec le temps et à force de se battre, par la survie des autres. Maintenant je le croise à la gare de Genève et il a juste l’air comme ces autres qu’il croit aider. Pressé.


Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…