Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : Feodora

J’ai tellement de chance. Et puis après s’être dit cela elle s’en va en oubliant assez vite qu’elle se l’est dit. Elle est parfois comme cette auteur aux lunettes d’écailles et à la vie de luxe, jouant à l’écrivain alors que la femme de ménage qu’il a insulté a plus d’histoires à raconter que lui. Feodora est faite de convictions successives et changeantes; tantôt actrice, danseuse, poétesse, chanteuse ou rien de tout cela ou tout cela à la fois, elle tente des chemins sans vraiment les essayer, parce qu’apprendre à jongler est tellement plus pompant que de jongler vraiment. Beaucoup d’avantages, de qualités, de vies possibles, elle les voudrait là , immédiatement, à ses pieds. Cette frivolité papillonnante, cette façon de tournoyer en ayant l’air de lire du Spinoza fascine. Elle me rappelle Holly Golightly dans "Breakfast at Tiffany’s", sa profondeur vient de son air de rien, de cette légèreté qui me ferait porter ses valises et m’empresser pour elle alors qu’elle me parlerait de sa prochaine pièce en riant et m’oublierait l’instant suivant sans que je puisse lui en vouloir. Elle me rappelle aussi un peu Yasha: toutes deux partagent cette même ambition implacable teintée d’une timide et philosophique humilité. Feodora évite de se dire qu’elle aime souffrir parce que les artistes souffrent et qu’elle veut être une artiste. Mais tout est si aisé autour d’elle, l’existence coule, plus que fluide, aérienne, alors les soucis, pour être cette artiste digne de nom, elle se les invente. Elle se crée des relations compliquées, fait un enfant seule et s’arrange en général pour que tout soit un petit peu plus compliqué que nécessaire. Et elle a un don certain: une talentueuse et convaincante sensualité. Dont elle use et abuse pour se faire sa vie compliquée d’artiste. Mais il est fort possible que ce jour où elle cessera de jouer elle aura impliqué tellement de gens que ceux-ci s’arrêteront pour dire d’elle: voilà une artiste accomplie. Peut-être qu’alors Feodora y croira tellement qu’elle poursuivra encore et toujours cette idée torturante de liberté absolue que l’artiste doit poursuivre et tournoira au milieu de toutes ces vies que sa grave frivolité implique presque naturellement, cherchant encore à travers elles, comme si elles lui étaient données, ce secret impossible de la création ultime. Pendant que sa fille tirera en vain sur la chemisette immaculée de l’artiste refaisant le monde. Tout est dans l’art et Feodora a tout de l’artiste se disant que tout est dans l’art. Le plus drôle étant que cette hautaine conviction provient sans doute d’un talent authentique. A moins que je ne sois moi aussi sous l’effet du sortilège.


Ce texte n’engage que son auteur et ne prétend en rien être exhaustif ou représentatif de quiconque. Il s’agit d’un instantané subjectif, d’une représentation parcellaire et momentanée, ayant pour but l’esquisse littéraire d’un personnage fictif autour d’une personne existante. En aucun cas ce texte n’a pour prétention ou objectif le viol de la vie privée ou la description unilatérale d’une personne existante. A considérer avec précautions, tel un tabloïde de seconde catégorie.

Une réponse

  1. Le prénom dans cet article a été changé sur demande de la personne concernée.

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