8 juin 2005
Considérez l’éducation des enfants comme une série de règles à respecter scupuleusement et avoir raison. Faire les comptes à la fin du mois et en déduire les dépenses exactes possibles afin d’avoir un budget permettant des économies et avoir raison. Se mettre au travail avec dévouement et régularité et avoir raison. Assumer l’entierté des actions entreprises et avoir raison. Entretenir ses amitiés en téléphonant à ses amis et avoir raison. Se fixer des objectifs et les suivre et avoir raison. Aller au travail pour gagner son pain quotidien et avoir raison. Dépenser son argent pour participer à la machine sociale et avoir raison. Manger équilibré et faire du sport pour entretenir son corps et son âge et avoir raison. Etre présent pour ses proches, être disponible pour sa famille et avoir raison.
Avoir raison.
Etre raisonnable.
Vivre raisonnablement.
La machinerie sociale est aussi écrasante que ridicule.
Tremper sa baguette croustillante et pleine de beurre dans un pot de Nutella.
Et en plus, elle a tord.
Se dit-elle en souriant devant les bouteilles de vodka vides de la soirée d’hier.
7 juin 2005
Il croyait sentir l’odeur du café un matin d’été; il croyait voir la voisine le saluer en descendant les escaliers; il croyait respirer l’air rosé du petit matin bleu; il croyait effleurer du regard les passants et croyait aussi ressentir de la compassion pour chacun d’eux. Il croyait imaginer les voiture tels des prisons de liberté et les habitudes des uns telles des succubes assoifées revendiquer leurs grains de routine absolue. Il croyait vivre un matin de plus où les enfants crient devant l’école, mais il s’arrêta devant une bouche d’égoût pleine et réalisa que tout ce qu’il croyait n’avait aucun de sens.
6 juin 2005
Soudain, plus rien n’a de valeur. Tout est congelé et réchauffé. The very meaning of her life seemed artificial and dead , a-t-elle lu une fois dans un magasine féminin.
Juste à cause d’une fichue chaise 3D impossible à rendre avec les mappages corrects. Juste à cause des ricanements sous cape de ses collègues. Juste à cause de la somme infinitésimale des détails routiniers jamais remarqués, mais soudain là , évidents, immenses, grotesques, difformes. Soudain, plus rien n’est logique et plus rien n’a de sens.
Le plan circulaire et plat de sa vie prend un angle bizarre, et au-delà de l’horizon trépignent des êtres flasques dont chaque geste est une invite spongieuse à l’évidente absurdité de la suite de ses jours.
Elle sort du boulot, se rend à la gare, et part pour… quelque part, nulle part, qu’importe.
5 juin 2005
– t’as faim ?
– non
– t’as soif ?
– non
– t’as envie d’une femme ?
– non
– t’as envie d’un cadeau ?
– non
– t’as besoin de tunes ?
– non
– tu travailles ?
– non
– t’es heureux ?
– non
– t’es malheureux ?
– non
– …
– …
– tu sais dire autre chose que non ?
– oui
22 avril 2005
Mme Rogivu monte les escaliers. 184 marches : elle les monte lentement, une après une, lentement : chaque jour. On lui a bien répété et répété qu’il fallait se trouver un appartement au rez, que le cinquième étage n’était pas fait pour une dame de son âge, qu’éventuellement, une maison de retraite… La concierge, une jeune blonde aux cheveux gras, secouait la tête, accrochée à son balai, sermonnant qui voulait l’entendre : « …à 85 ans, vous pensez, c’est une folie ! » Mais Mme Rogivu poursuivait, une main sur la rampe, l’autre tenant ses courses, elle montait, depuis cinquante ans elle montait. Elle avait son secret : c’est parce qu’elle montait qu’elle était toujours en vie.
Et c’est aussi en montant qu’un jour elle trouva la mort.
Avec le sourire.
10 avril 2005
Les murs boursouflés suintent une humidité que l’homme au milieu de la pièce, sur sa chaise, ne voit pas. Des camions de banlieue passent l’un derrière l’autre sans s’apercevoir qu’ils forment un train ininterrompu de roulements, tremblements, vie d’écart en écart constipée comme un bouchon d’autoroute en cercle. L’homme sur sa chaise ne les entend plus, il regarde le plateau à ses pieds. Il repense aux nuits passées à faire le tour du périphérique inlassablement. L’unique fenêtre est embuée, pourtant il fait froid, le givre étincelle. Un peu comme le plateau à ses pieds, où s’alignent des bistouris de tailles diverses, des aiguilles à coudre et même un couteau plus large. Des nuits à tourner en rond sur le périf’, à scander ce verbe parfait. Le raccourci sublime du boulevard désert de son existence; cette ruelle sombre qu’il n’avait jamais remarquée. La prendre, avec ce verbe parfait, ce verbe lumineux, joyau hurlant, émeraude obscur.
Disparaître.
Longtemps, il a vécu le tam-tam de ce verbe. Puis ce fut « changer de vie ». Enfin, au cÅ“ur d’une nuit sans rêves, il s’arrêta, assis sur cette chaise au milieu de la pièce, il s’arrêta sur : « changer de peau ». Les bistouris souriaient.
30 mars 2005
La main qui parcourt l’échine souple, elle qui répond en s’étirant lentement, distraitement sur le clavier, vase gracieuse d’un périple d’endorphines si tentantes, et le cliquement sur le fichier, doux le cliquement, cotonneuse morphine d’envies d’images souples au-delà du cliquement, la main qui redescend, elle qui répond, attendrie par la flatterie, et puis la main l’agrippe plus fort, coquette elle se tend, mieux sentir l’agilité de cette pression, suivre le regard dans sa quête d’écran, l’influx tendrement descend de la moelle et se répand plus bas, tandis que le film sur l’écran répond aux va-et-vient. Couple maudit roi des couples maudits car il n’en est pas un, de couple, la main reçoit la semance de tout son amour désabusé, alors qu’elle, indifférente, a soudain le dos rond, ramollit, et disparaît dans l’antre moite de sa braguette.
12 mars 2005
Il aime rentrer chez lui tôt le soir. Il aime voir ses enfants l’ignorer lorsqu’il referme la porte. Il aime sentir sa femme lointaine, absorbée par autre chose que sa présence. Il aime se retrouver chez lui tout en ne reconnaissant rien de chez lui. Il aime errer dans le hall et le corridor la nuit alors que femme et enfants dorment. Il aime entendre le chat miauler juste pour lui demander de remplir la gamelle. Il aime tuer.
6 mars 2005
Zoé aime manger des fruits en hiver. Zoé aime leurs sucs. Elle mord à pleines dents et plus que d’en goûter la saveur elle goûte cette sensation de filets de jus coulant sur ses mains, le long de ses bras, autour de sa bouche, descendant son cou, s’étalant plus bas. Quel délice, lorsqu’une orange qu’elle presse sur son visage parvient encore à mourir d’une goutte innattendue sur la pointe d’un sein !
Zoé mange des fruits nue.
De préférence, au coeur de la nuit, parce que le coeur de la nuit, c’est un peu comme le coeur d’un fruit. Elle aimerait presser ses nuits à en faire jaillir un sang d’encre, une essence saumâtre, une boue nocturne qui, oh oui s’il vous plaît !, irait s’écouler sur les corps gras des Endormis les bienheureux.
Zoé s’autorise des mâles parfois, qu’elle va cueillir dans les lieux de perdition, où ils poussent en abondance, les errants de l’existence, les vagabonds de l’âme dont la liberté n’a d’égale que l’ivresse. Ils rentrent chez elle les yeux brillants, la salive aux commissures. Ils en sortent pressés jusqu’à la moëlle, par le siphon de sa baignoire.
L’été, Zoé mange des fruits secs. De la route, elle observe au loin sur la plage ces corps huileux qui s’étalent comme un rôti de porc à l’orange mijotant jusqu’en novembre.
25 février 2005
Et quand il réalisa qu’il n’avait plus à rien dire, il continua à parler de plus belle, et non seulement il continua à parler de plus belle, mais il parla de plus en plus fort, si fort qu’il se mit à crier, puis à hurler.
Il n’y avait plus rien à dire, elle partait, et il hurlait.
19 février 2005
Nous ne sommes pas rentrés en collision brusquement aux coins des hasards, nous sommes bien trop parallèles pour cela. Je t’ai découvert lentement, comme un trésor au fond d’une grotte bizarre. Une amitié qui a vieilli, puis elle s’est dressée en amour. Quel conte de fée ridicule ! Durant des mois, j’avais mon prince charmant sous le nez, nous nous sommes avancés, rapprochés, rapprochés, repoussés, je voyais seulement une danse agréable où pouvaient s’échapper mes rancunes et autres déceptions, alors que c’est la valse de l’amour, paraît-il. On s’est retrouvé couchés ensemble pour que je réalise enfin que tu étais devenu plus qu’une bouée contre les maux de mer, que je m’étais efforcée bêtement de dessiner autour de toi le doux halo du chevalier servant. Vois-tu, mes vieux rêves d’adolescente s’accordaient plutôt à une certaine filmographie doucereuse, où toutes les émotions se contractent si vite, l’amour n’a que deux heures pour exploser et s’évanouir, où s’aimer veut donc dire se croiser par hasard, se remarquer presque immédiatement et s’embrasser, avec en un éclair cette dose de bonheur fou et de larmes inévitables. Ainsi m’étais-je habituée à croire que l’amour apparaît subitement, comme une sorte d’illumination au milieu de la banalité.
18 février 2005
Le bébé hurle. Bouche grande ouverte et noire, yeux férocement fermé, secs. Il ne pense à rien d’autre qu’à l’écho le plus long possible de ses hurlements. Ils doivent envahir le monde qui le cerne, le monde entier, quelle que soit son apparence au-delà de ses paupières férocement fermées. Le bébé hurle sans larme. Il ne pleure donc pas. Il se contente de produire ce son innommable, éreintant, inquiétant. Attribuer une raison à ces cris sans répit d’animal égorgé. Mais il n’y a pas de raison. Le bébé est rouge et gonflé, répugnant : éclatera-t-il ? Même pas, toujours et encore sa plainte assourdissante qui envahit le monde.
16 février 2005
Pluie glaciale dans la nuit. Fin d’hiver achevant un printemps raté d’avance. Je tourne en rond depuis que la femme de ma vie m’a quitté pour un faux pédé. J’embrasse trop souvent le goulot, sinon rien, je répugne les snobinardes guindées, j’intrigue seulement en tant que créature empaillée du Musée de l’Impossible les artistes dépressives, et je fais peur aux autres quand je m’allume une clope ou quand je souris. Bref, j’ai dégueulé à la Saint-Valentin, quoi. Passé un temps en solitaire du cul à m’automalsatisfaire avec ce régime asexué de cassettes pornos et de jambes croisées dans les bistros, et j’ai du commencer à m’intéresser de plus près aux solutions alternatives. Il faut savoir que je suis une bête de sexe et quand trop longtemps je n’ai pas quelque chose de vivant pour nourrir mes parties frétillantes je deviens dangereux pour moi-même comme pour les autres (une fois, j’ai avidement accepté de me faire draguer et plus par une nympho de 13ans dans les chiottes de Bellerive, pour me faire compacifié une seconde plus tard pris sur ce coup impubère par son père gorillesque…j’évite la jeunesse maintenant, elle me fait trop mal). Ce qui me mène piteusement à cette nuit mouillée du Flon, à cette première pute inaugurant mon voyage pervers. En fait, pour un début, Aphrodite là -haut m’a bien arnaqué. Tout concorde on dirait, en face de mon humeur baveuse, j’ai un masque peinturluré dégoulinant grimaçant sa fausse gratitude. Elle est immonde. Est-ce tout ce que je mérite?… L’Apocalypse à forme humaine. Une erreur génétique invraisemblable évadée d’un laboratoire souterrain oublié. Le résultat médiocre d’une formule alchimique du dégoût. Un nez globuleux et rouge et je me croirais au cirque tellement elle est maquillée. Et au chaud dans la voiture, elle me sourit, doublement avec ses mentons, comme si j’étais le petit-fils de grand-maman auquel on va offrir une gentille sucrerie. A vrai dire, elle ressemble à ma grand-mère. En plus grosse et usée. Hélas, je n’exagère rien. Mais je ne peux plus faire machine arrière; qu’est-ce que je serais supposer faire? Stopper, ouvrir sa portière et lui balancer quelque chose dans le genre: casse-toi t’es vraiment trop moche je peux pas payer pour ça? Comme je l’ai dis avant, j’ai du respect pour les femmes, même quand elles sont exécrables sous tout aspect je reste poli. Et là , je vais donc devoir baiser par politesse…mes fantasmes masturbatoires répétitifs ne m’avaient pas vraiment préparés à ça: je voyais la grosse pute salope genre magazines pornos & Cie, et là je me retrouve avec la grosse pute, rien d’autre merci. Plutôt brutal comme confrontation avec la réalité pour l’être sensible que je suis. Certains spécialistes ou perfectionnistes se demanderont à juste titre comme j’ai pu m’arrêter devant un tel monstre (le terme n’existe pas au féminin, inventez l’équivalent), je répondrais que ma nervosité hallucinatoire avait déjà tout construit à l’avance, que la succession de ces quelques instants jubilaires précédant mon arrivée sur place était déjà travestie par mon désir intense de voir ce que je m’étais concocté mentalement chez moi. Comme un mauvais cuisinier, j’avais joliment écris la recette, mais le repas était à dégueuler. En flashs cinémas, l’explication de ma misère malencontreuse donnerait sans doute cela: les essuie-glaces repoussent péniblement un déluge réconfortant, la voiture chuinte le long de la route de Genève, lumières oranges éclaboussées sur le pare-brise, orange puis ombre orange puis ombre orange…, personne, je dépasse le quartier mort du Flon en cette nuit début de semaine, mets la radio un peu plus fort pour me consoler, malgré que je ne trouve pas l’objet de ma soif sexuelle j’ai l’impression de mieux respirer, d’être étrangement réconforté – la pute te confronte directement à la lâcheté de tes désirs, je fais deux fois le tour de ce désert aquatique sans résultat, je fuis presque et voici bien sûr au dernier moment l’ombre mouvante tant attendue, tant préparée, lorsque courageusement je freine elle se détache du mur et s’approche rapide courbée comme une sorcière ou une araignée, déjà là je sens un malaise au milieu de mes frissons de plaisir, mais je l’attribue à un excès de timidité et non à ce que mes yeux me servent crûment, car cette ombre n’avance pas royalement sensuellemnt, elle dandine, elle patauge, elle rebondit presque contre la voiture, moi je ne vois que la fée pulpeuse qui attrapera avidement mon sexe donateur, je vis un film où mon imagination possède tous les droits, me penchant pour ouvrir la portière je suis soudain ébloui par un lampadaire et trempé par la pluie, la voix pourtant est succulente : « Salut, tu veux baiser ou tu veux te faire sucer? », je succombe, « baiser c’est combien? », « 100 pour toi mon chéri », je bande, « d’accord », aveuglé comme en amour, voilà le début du drame. Je redémarre et constate de biais l’erreur l’horreur. La baise vite fait, même gratuite, c’est aussi simple que ça: tu agis, après tu te morfonds.
Recherche sur le site
Romans et nouvelles en PDF
:: Celui qui n'en était pas un (roman,2015)
:: Bordel karmique (nouvelle,2012)
:: Le cercle vicieux (nouvelle,2008)
:: [p] (nouvelle,2008)
:: Vie pas la mienne (roman,2004)
:: Personne (roman,2003)
:: Mémoire des Débris (roman,1998)
:: PR-NO-L-4897 (nouvelle,2005)
:: var=♂ (nouvelle,2003)
:: Lexivore (nouvelle,2003)
:: Rencontres (nouvelle,2003)
:: La lecture (nouvelle,2003)
:: Cas d'étude (nouvelle,2003)
:: L'amour (nouvelle,2003)
:: Le disque dur (nouvelle,2003)
Mots-clés / consultations
Archive mensuelle Archive mensuelle
Sélectionner un mois
décembre 2020
novembre 2020
octobre 2020
septembre 2020
août 2020
juin 2020
mai 2020
avril 2020
mars 2020
février 2020
janvier 2020
décembre 2019
novembre 2019
octobre 2019
septembre 2019
août 2019
juillet 2019
juin 2019
mai 2019
avril 2019
mars 2019
février 2019
janvier 2019
décembre 2018
novembre 2018
octobre 2018
septembre 2018
août 2018
juin 2018
février 2018
janvier 2018
décembre 2017
janvier 2017
décembre 2016
novembre 2016
septembre 2016
août 2016
juillet 2016
juin 2016
mai 2016
avril 2016
décembre 2015
novembre 2015
octobre 2015
septembre 2015
juillet 2015
mai 2015
mars 2015
janvier 2015
décembre 2014
novembre 2014
octobre 2014
juin 2014
avril 2014
février 2014
décembre 2013
octobre 2013
septembre 2013
juillet 2013
mai 2013
janvier 2013
décembre 2012
novembre 2012
octobre 2012
septembre 2012
août 2012
juillet 2012
juin 2012
mai 2012
avril 2012
mars 2012
février 2012
janvier 2012
décembre 2011
novembre 2011
octobre 2011
septembre 2011
août 2011
juillet 2011
juin 2011
mai 2011
avril 2011
mars 2011
février 2011
janvier 2011
décembre 2010
novembre 2010
octobre 2010
septembre 2010
août 2010
juillet 2010
juin 2010
mai 2010
avril 2010
mars 2010
février 2010
janvier 2010
décembre 2009
novembre 2009
octobre 2009
septembre 2009
août 2009
juillet 2009
juin 2009
mai 2009
avril 2009
mars 2009
février 2009
janvier 2009
décembre 2008
novembre 2008
octobre 2008
septembre 2008
août 2008
juillet 2008
juin 2008
mai 2008
avril 2008
mars 2008
février 2008
janvier 2008
décembre 2007
novembre 2007
octobre 2007
septembre 2007
août 2007
juillet 2007
juin 2007
mai 2007
avril 2007
mars 2007
janvier 2007
décembre 2006
novembre 2006
octobre 2006
août 2006
juillet 2006
juin 2006
mai 2006
avril 2006
mars 2006
février 2006
janvier 2006
décembre 2005
novembre 2005
octobre 2005
septembre 2005
août 2005
juillet 2005
juin 2005
mai 2005
avril 2005
mars 2005
février 2005
janvier 2005
décembre 2004
novembre 2004
octobre 2004
septembre 2004
Commentaires récents Calendrier des publications
février 2021
L
M
M
J
V
S
D
« Déc
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
Flux RSS