Chemins

Il est arrivé plus tôt ce matin. L’un après l’autre les collègues le saluent vaguement en s’asseillant devant leurs ordinateurs. Il s’est disputé avec sa femme hier soir. En ce moment, elle doit amener les enfants à l’école. Ensuite elle ira faire sa gym. Plus tard elle ira les chercher et leur faire à manger. Elle les ramènera à l’école l’après-midi et après elle s’occupera un peu de la maison; sans doute qu’une de ses nombreuses copines passera aussi la voir pour discuter de tout et de rien ou regarder un feuilleton. Le soir, elle ira chercher les enfants après un crochet au supermarché. Et puis elle attendra son retour en essayant de se faire belle pour oublier la dispute d’hier soir. Elle se fait toujours belle pour oublier leurs disputes : c’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont eu trois enfants.
Lui, pendant tout ce temps, il sera toujours assis devant son ordinateur, à répondre à quelques téléphones, à acquiéscer devant les problèmes des autres, à donner quelques directives et à prendre des décisions aux réunions que tous jugeront importantes.
Il est parti plus tard ce soir. Il met la clé dans le contact. La nuit tombe plus vite maintenant et sur le périphérique les feuilles dansent entre les voitures coincées et leurs occupants qui écoutent la radio en attendant d’arriver chez eux. Au dernier croisement, il tourne à droite au lieu de tourner à gauche. Après quelques rues à dériver, il s’est arrêté sur le trottoir. Il pense surtout à ses enfants, à leurs petits sauts joyeux lorsqu’il rentre le soir, aux cadeaux qu’ils lui ont préparé, au bain qu’ils se réjouissent de prendre avec papa auprès d’eux. Il s’agrippe désepérément au volant et sanglote. Cette fois c’est fini, c’est pour de bon.
Il faut divorcer.
Son téléphone portable sonne : c’est sa femme qui s’inquiète. Sa voix lui semble tellement vibrante soudain, tellement vivante dans le brouhaha du soir tombant. Les derniers rentrent chez eux en se penchant contre le vent.
Il met la voiture dans le garage, ouvre la porte et se penche pour prendre ses enfants criant de joie dans ses bras. En effet, sa femme est toute belle ce soir.
Elle lui demande si ça va, un peu crispée. Il l’embrasse au creux du cou, elle se relâche, lui sourit.
Le lendemain matin il a pris contact avec son avocat.

Une réponse

  1. Avatar de silvina
    silvina

    C’est un peu le dernier souffle du mourrant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…