Magali

Magali.
Je me rappelle d’elle. On avait quoi. Huit-neuf ans ?
Elle était la risée de la classe, la risée du quartier.
Elle était grosse, ses yeux tombaient comme pour dire : regardez, je suis la victime idéale. Sa peau blême donnait envie de la gifler pour la rougir un peu, lui donner vie.
Elle était molle. Elle ne réagissait pas. Elle souriait bêtement et ce sourire bête donnait encore une fois envie de la secouer.
J’étais assez timide, n’en pensais pas moins, mais les autres, ils s’en donnaient à coeur joie, de tout ce coeur et de toute cette joie dont les enfants jouent jusqu’à être terribles.
Mais elle ne pleurait pas. Elle s’étalait. Se faisait encore plus molle, s’étirait, limace de faiblesse et catharsis de victimes d’Hiroshima, elle engluait la vue des autres enfants dont l’instinct jovial les poussait à la moquer, à l’humilier, à la rejeter.
Elle n’avait pas de copines. Du moins pas dont je me souvienne.
Elle était tellement grise et absente et inconcevable et grossière dans sa molesse que l’idée même de copinage me semble absurde.
Non, elle n’avait personne, Magali. Personne.
Tout au plus une mère-mollusque hyper-protectrice.
Un père absent-présent syncrone avec la télé s’allumant le soir et la porte claquant le matin.
Magali.
Le prénom déjà : une grossierté. Dans la construction graduée de ma mémoire d’adulte, ce prénom restera à jamais associé à une glaire, un crachat venu du fond de la gorge et subitement ravalé, lourd et jaune et visqueux le long de la gorge. Magali. Molgali. Mongali. Mongoli.
Un fond impubère rejaillit en moi, si fort qu’au souvenir de cette fille que je n’ai pas revue depuis vingt-cinq ans j’ai encore envie de la frapper, de la pendre au bout d’une corde juste pour la voir tirer une langue violette et s’agiter un peu. S’agiter enfin !

Hier je l’ai vue dans le journal. Elle a été mannequin, maintenant elle est actrice. Elle vit entre New-York et Paris. Elle a deux filles avec un producteur de musique. Ils sont partis en vacances aux Caraïbes. Sur la photo de la plage elle a les mêmes yeux. Ils tombent. Toujours de la même manière, sauf qu’avec l’âge ça lui donne une teinte légère de mélancolie destroy dont la pub dans le magasine raffole. Magali.

Tu nous as bien eu.

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