le feu au lac

Une expression commune dans le gros de Vaud suisse dit : “Il n’y a pas le feu au lac.” Cela signifie qu’il ne faut pas se dépécher. Et Edgar, chaque matin lorsqu’il s’assied à son bureau et observe droit devant lui le généreux panorama lémanique de son bureau de directeur, pense à cette expression.
Il se répète devant le café que lui a amené la secrétaire : “Il n’y a pas le feu au lac, il n’y a pas le feu au lac, il n’y a pas le feu au lac, il n’y a…”
Ritournelle automatique rythmée par ses doigts pianotant sur le bureau de verre fumé.
Sauf qu’elle va toujours en se précipitant vers la fin, cette ritournelle, elle grossit, elle devient tapageuse, obnubilante, hurlante; il l’entend tout au long de la journée maintenant.
“Y’a pas l’feu au lac, Edgar, y’a pas l’feu au lac…”
Maintenant lorsqu’il arrive au bureau, ce n’est plus le lac et sa douce étendue brumeuse du matin qu’il voit, non non, Edgar voit des flammes.
Elles montent haut, elles lèchent le port, les bateaux s’embrasent, de grosses cloques bulbent sur les carosseries des voitures, l’asphalte fond, l’eau siffle et de gigantesques champignons de vapeur brûlante défigurent des gens qui hurlent à l’agonie.
“Y’a pas l’feu au lac, Edgar, y’a pas l’feu au lac…”
Sa secrétaire le secoue en lui tendant l’agenda de la journée. Edgar se sent fiévreux. Il transpire. Pourtant la banque est fraîche, climatisée, ronronnante, trop fraîche même.
“Y’a pas l’feu au lac, Edgar, y’a pas l’feu au lac…”
Il essaie de sourire aux clients tout au long de la journée mais le problème, c’est que ça sent le brûlé.
Ses clients brûlent dans leurs yeux. Sa secrétaire brûle dans sa jupe fendue. Ses collègues brûlent dans leurs sourires inutiles.
“Y’a pas l’feu au lac, Edgar, y’a pas l’feu au lac…”
Ca s’appelle un burn-out, lui avoue, affable, un psychiatre dont la gueule béante crache des flammes.

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