Vivre pour la vie

Il a commencé à bosser à 15 ans. Sur des chantiers comme manutentionnaire. Il creusait des trous et les carottes ramenaient de longilignes cylindres de boue qu’il fallait ensuite soigneusement ranger dans des sortes de cerceuils pour laisser les chimistes les analyser.
Deux ans plus tard il en eu marre et il s’est fait engager dans une boîte comme téléphoniste. Les nouvelles technologies émergeaient. Il devait expliquer aux gens se succédant dans le casque pourquoi ils avaient des problèmes avec leur appareil. Il a tenu un an comme ça à se faire gueuler dessus.
Hervé s’est dit qu’il méritait mieux.
Bossant la journée comme livreur de repas chinois, il fréquenta les cours du soir intensémment pendant deux ans. C’était un peu farfelu, tout ce qu’il apprenait. Biologie, chimie, maths, langues, histoire. Tout ce que gamin il avait considéré comme une profonde perte de temps, il le revoyait alors à toute allure, avec à chaque fois que la paresse ou la désillusion pointaient, la vision soudaine et brutale de ces longues carottes de boue qu’il avait tirée hors de terre.
Il est rentré à l’université trois ans plus tard, en informatique, avec mention.
Les deux années suivantes se sont écoulées avec peu de motivation, mais beaucoup de succès. Il rencontra une fille à la cafétéria de l’uni. Quelque chose dans l’engrenage acharné de son esprit mué par l’idée obssessionnelle de s’en sortir, de “devenir quelqu’un”, s’émoussait mois après mois. Il rejoignait ce petit bout d’esprit d’enfant qui n’avait jamais adhéré aux mécanismes du bon fonctionnement global. Hervé abandonna ses études à la fin de la troisième année.
La fille de la cafétéria lui donna un enfant, puis un second, puis un troisième.
Il retourna sur les chantiers, mais cette fois, avec le sourire.
Hervé savait que quoi qu’il advienne, il avait désormais la force de tenir sa vie à bout de bras.

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