DisneyWorld suite

Je me lève de ma grille, c’est la seule grille suffisamment chaude en février. Tiens, il neige. Je vais au kébab du coin me payer un sandwich.
– Pas trop froid c’te nuit, mon Prince ?
J’essaie de sourire, ça marche pas, trop crispé. Je regarde vers le fond du bistrot. L’autre tend la main vers les toilettes.
– Vas-y, avant que les premiers clients arrivent.
J’y vais. Je me rase. Ma veste est sale, trempe, j’essaie de me rendre décent, juste pour passer les contrôles d’entrée. Ca marche pas vraiment. Mais je crois, de toute façon ils s’en foutent.
Je ressors, je sirote un café. Le jour se lève à peine. Il neige plus fort. Le serveur met du Keith Jarrett, drôle d’idée.
Allez j’y vais.
Je fais semblant d’être pressé, comme d’habitude. La Secu me reconnaît, les deux gardes sourient, normal, j’ai toujours la même veste élimée.
– Alors mon Prince, on est en retard hein ?
J’essaie de sourire, ça marche nettement mieux. Je passe mon badge et me dirige vers les vestiaires.
Il y fait chaud, tellement bon, tellement chaud. Je manque m’assoupir sous l’effet de ce confort disproportionné.
J’ai un peu mal au dos à cause de ma nuit sur le trottoir, mais je sais que ça passera.
Les autres arrivent, on se salue, je reconnais le Mickey du mois. Il a de grandes oreilles décollées, comme l’original, d’ailleurs c’est pour cela qu’ils l’ont choisi j’imagine.
Je me maquille, je m’illumine, je me rajoute des dorures, je fixe mon épée, je me souris. Mon reflet est un autre homme, un homme que j’aime, un homme fort, idéal, un bon père et un bon mari. Je suis enfin quelqu’un d’autre.
Nous sortons tous à nos postes et le fleuve des visiteurs journaliers descend les rues du petit village enchanté.
J’impressionne, les enfants m’admirent. Et moi je me nourris de cet éclat dans leurs yeux. Cet éclat unique dans ces miriades d’yeux éblouis, c’est toute ma vie, tout ce que je demande et ce que je désire, leur faire oublier, un peu, cette fadeur de l’extérieur, dans cet éclat.
La neige tombe plus fort, soulignant la magie et la noblesse de chacun de mes gestes. Je souris aux mamans, qui papillonnent, presque timides.
Parmi tous ces visages d’enfants, je n’en vois qu’un seul, celui de ma fille. Ma fille qui me sourit, qui rougit, je l’entenderais presque crier papa. Papa ! Papa ! Le Prince Charmant !
C’est pour elle que le soir en me démaquillant, en enfilant ma veste rêche, mon pantalon trop léger, en passant mon badge et en saluant la Sécu, c’est pour elle que je me réjouis du lendemain. Pour elle que je vois dans tous ces visages d’enfants, elle qui me manque tant.
Je reverse tout ce que je gagne à mon ex-femme, pour ma fille, sauf les pourboires.
Ce soir-là la grille chaude était occupée par un autre clochard. J’ai de la peine à me qualifier de clochard. Je suis le Prince Charmant de ma fille. Je suis allé voir s’il y avait encore de la place dans le garage souterrain.
J’ai dormi en rêvant d’un monde magique où j’avais des dragons à terrasser, un monde lumineux et doré vers lequel ma fille me tirait par la main en riant.

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