Le malheur

Les réactions face au malheur :

– la drogue ( stupéfiants, alcools, … ) On entend par là tout ce qui nous plonge dans un état artificiel et provoquant une dépendance par rapport à cet état. Risque : que la spirale ne trouve plus sa fin. Avantage : le dérèglement de tous les sens aboutit parfois, rarement, à une intense prise de conscience vis-à -vis de notre propre parcours, la découverte de nos désirs, et, par réaction, une régulation très fine de ces désirs par rapport à la réalité ( reprise d’études, réorientations, sensibilité à l’autre, révélations… )
– le sexe. La recherche de la jouissance, la recherche de l’autre comme une tentative de se sublimer à travers l’autre, ou s’extraire de son désarroi par le biais de rencontres excessives. L’impression de partager son malheur et ainsi de le diminuer, créer un espoir à travers la vie des autres. Risque : lorsqu’une affection naît, l’autre peut être entraîné à son corps défendant dans un maelström d’émotions destructrices. Avantage : si l’amour de l’autre va au sacrifice, alors ce peut être là l’unique échappatoire à devenir le plus rapidement constructif.
– le travail. Se plonger dans d’autres soucis, une activité intense qui éloigne le plus possible de nos émotions. Risque : la dépression, l’ennui, le stress déplacé, le refus du doute, le malaise face à un artifice qui reste aux périmètres du malheur. Avantage : la gratification des collègues, l’émulsion de la créativité ( combien d’œuvres nées du malheur ? ), l’aide aux personnes encore plus défavorisées dans leurs vies, revalorisation de sa propre existence.
– le voyage. Laisser derrière soi un quotidien trop lié à l’existence de notre malheur. La découverte du monde extérieur, des différences, des variétés, pour permettre de se resituer, de pondérer notre propre détresse en la relativisant ( le monde est vaste… regarde tout ce qui se passe ailleurs… etc. ). Risque : le monde extérieur ne remplace pas le monde intérieur. Sentiment de solitude, de fuite en avant et la crainte de l’avenir qui s’y associe, la déconstruction d’un schéma de vie au point qu’on se sente davantage perdu face à la perspective d’un quelconque retour : l’errance sans fin. Avantage : lorsque l’esprit de fuite supplante l’esprit de découverte, il n’y a aucun avantage, tout au plus une temporisation de la souffrance. Mais si lentement la fuite fait place aux rencontres, à l’envie de connaître, il y a la possibilité d’une seconde naissance remettant tout à plat ( tabula rasa… ) Mais l’abandon presque total de tout un passé n’est pas aisé et mène souvent à d’autres doutes.
– la foi. Lié à un être suprême, une destinée inaltérable se construit, et la confiance complète en les desseins de l’être suprême ( sa voie impénétrable ) apporte la confiance en sa propre vie, quels qu’en soient les détours pénibles. Risque : l’univers des sectes est affamé d’âmes en déroute et dans le malheur la raison a bien de la peine à distinguer l’honnêteté, la bienfaisance, du profit, de l’exploitation psychologique de nos doutes. De plus, l’excès mène au fanatisme, qui est semble-t-il une forme ancestrale d’autodestruction. On peut aussi se perdre dans sa propre croisade. Avantage : une force et une énergie presque inaltérables, un but qui souvent dépasse toutes les considérations routinières de la vie, attribuant au malheur le visage d’un mal contre lequel on peut lutter, d’où la force, d’où l’espoir du combattant. Esprit combatif dont l’Epée peut trancher tous les doutes.
– la consommation excessive. Des achats au-dessus de ses moyens, une furie de posséder pour amener l’illusion d’un renouvellement, d’une transformation. Changer sa garde-robe, changer ses meubles, mais c’est aussi la consommation excessive de nourriture. Risque : cette soif insatiable de posséder devient une sorte de boulimie existentielle par laquelle on mange frénétiquement sa propre vie, on essaie de digérer là où au contraire il faudrait extraire et se confronter. Avantage : les petits changements liés au quotidien donnent aux achats un aspect salvateur, de défoulement, d’espoir en une certaine continuation de notre existence bon gré, mal gré.
– l’érotisation du malheur. Elever le malheur au rang d’une œuvre d’art vivante à subir absolument pour poursuivre sa propre évolution naturelle. Risque : on en sort plus ! Phénomène de l’auteur alcoolique, de l’autodestruction créative. Confusion entre ce qui reste néfaste et ce qui nous permet effectivement d’apprendre, et on patauge entre l’indécision et la résignation, sans plus trouver d’appui pour s’en sortir. Autoflagellation de l’âme, mortifications stériles. Avantage : renforcement de l’ego et par conséquent de la confiance en soit. La sensation d’avoir grandi et d’avancer dans son propre vécu.
– l’altruisme. Remplacer son propre malheur par le malheur des autres, globaliser son malheur à l’échelle de toute l’aide qu’on peut apporter aux autres. Risque : à force d’aider les autres on ne s’aide plus soi-même, on noie sa propre douleur dans celle des autres, sans plus aucune capacité à discerner l’égoïsme de sa propre survie de l’aide effective aux autres. Avantage : on aide les autres. Notre bonté comme oubli de nos doutes. Je ne sais pas si c’est un avantage mais ce sacrifice peut aller jusqu’à une forme de crucifixion : la sainteté. Où pureté et bonté sacrifient nos propres sentiments en faveur d’un « esprit de l’humanité ».
– l’ermitage. Le principe du monastère comme un éloignement méditatif de toutes ces données de l’existence qui nous ont rebuté. L’asile de la paix. La thérapie du silence. Risque : sensation de tourner en rond, d’être soudain statique face à l’immuable continuité de notre sentiment de désarroi, d’où un certain entretien de ce désarroi : on broie du noir en étant convaincu qu’il n’y a pas d’autre issue. Avantage : un rythme de vie précis, on se rattache à des valeurs essentielles par le biais d’une méditation sur notre propre existence, et on y découvre la possibilité de se voir d’un peu plus haut. On accorde plus d’importance à des détails tout simples et cela fait se taire les tortures automatiques de la raison.
– la guerre ou la passion du risque. Lorsque la possibilité se présente bien sûr, partir au combat peut devenir une forme de fuite ; mais cela peut aussi être tout autre forme de prises de risque physiques : sports extrêmes poussés à bout par exemple, situations psychologiques éprouvantes ( légion, marches solitaires… ). C’est la confrontation directe du malheur intime, vécu personnellement, au malheur absolu, total, qui nous dépasse et nous ridiculise tout entier, notre malheur y compris. Risque : la fascination morbide de la mort, le défi sans cesse agrandi de mettre sa vie en balance avec un risque toujours plus grand, forme détournée de suicide passif : on attend plus rien d’autre que la fin. Phénomène du héros. Avantage : le rencontre avec la mort toute proche ou l’éventualité soudaine de sa propre mort physique ridiculise soudainement la source toute psychologique de notre désespoir. Choc violent qui ramène à la beauté toute simple de la vie physique ( je marche donc je suis…).
– le suicide. La fuite ultime. Risque : la douleur de ceux qui nous aiment, le poids alourdi de leurs existences, car eux ils continuent à vivre. Avantage : néant, ( ou dans certains cas très particulier, l’accession à une reconnaissance artistique ou politique universelle ).

Je ne sais pas si c’est une liste exhaustive, néanmoins ce sont là des typologies des réactions face au malheur. Je dis bien des typologies : en aucun cas il ne faut essayer de se ranger dans l’un ou l’autre de ces types, tant il est probable qu’on puisse tous ou en partie les traverser à différents stades de notre gestion du malheur. De plus, ce n’est là qu’une vision très catégorique et raisonnée des êtres humains, qui en aucun cas ne doivent être limités à des types de comportements spécifiques. Il faut aussi rajouter que le malheur en soit est une notion suffisamment vaste et floue pour qu’on puisse en discuter sur tout un livre. A mes yeux, la Bible par exemple est un merveilleux ouvrage sur le thème du Malheur.
Mais le malheur évoqué dans cette typologie est plutôt un malheur lié aux circonstances qui peuvent nous assaillir puisqu’il implique une réaction assez directe de notre part, non un malheur existentiel du genre crises d’angoisse incohérentes, dépressions ou autres névroses, folies, qui est lui plus rattaché à toute une histoire personnelle, voir même à des causes purement génétiques, malgré la fatalité désespérante de ce dernier terme. Cependant, il est vrai aussi que malheur circonstanciel et malheur existentiel se confondent souvent, nous passons de l’un à l’autre au gré de nos états ou de nos prédispositions. Une mélancolie latente par exemple peut être le fait d’un certain type de caractère, à tendance solitaire, ou le résultat d’un passé orphelin ou nomade. Ce qui ne signifie pas qu’un mélancolique n’aura pas recours aux réactions décrites ci-dessus pour sombrer ou au contraire s’en sortir.
Personnellement et en ce moment, j’ai envie de choisir la guerre. Partir en guerre en Irak…

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