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Le logisticien se devait de vivre comme une étoile, que dis-je, un soleil, que dis-je, une supernovae. Barry devait briller devant tout le monde, même les termites étaient forcées de reconnaître sa magnificence. Il aurait voulu être acteur, malheureusement :
“Sur scène, je brille trop.”
Il brillait trop et aucun théâtre n’avait voulu de ses prestations hallucinantes. Alors il s’était rabattu sur la logistique, un choix comme un autre :
“Je voulais voyager, propager ma foi aussi.”
Une foi vorace en l’Eglise de Scientologie l’illuminait littéralement au réveil, malgré la chaleur il bondissait hors du lit, malgré la puanteur des latrines accolées au dispensaire, il se préparait un café noir et épais en sifflotant, malgré les rictus tordus des fiévreux et les hurlements infinis d’une femme enceinte à l’utérus envahi par un œdème gigantesque, il passait entre les lits et leur donnait à tous son salut matinal, un petit sourire, un petit geste de complicité :
“Un soutien anodin, mais indispensable, n’est-ce pas ?”
Et puis il s’enfonçait dans ses listes, ses comptabilités et ses téléphones à l’étranger à des gens assis devant des bureaux propres sous une climatisation ronronnante, avec des porte-stylos dorés et des boutonnières estampées CK.
Je le détestais.
Il était beau pourtant, ça je dois bien l’admettre, un genre italien dragueur atténué par de grands yeux bleus dont il abusait, de longues mains et de jolies fesses bien dures, mais ces attributs virils ne rattrapaient pas la débile superficialité de son sourire. Son élocution claire et chantante, enfin j’avais l’impression qu’il était continuellement sur le point de passer en mode baryton, portait sa voix aussi loin que possible dans la jungle alentour, afin sans doute que d’improbables fauves se taisent au son de cette voix effrayante. Envoyé au milieu de nulle part par une administratrice frustrée mais intelligente, il se voyait néanmoins comme une sorte de Tarzan moderne, j’en suis certaine. Et le dispensaire était son terrain de jeu, et la brousse un défi bienvenu à ses démonstrations de virilité. A sa brillance.
J’avais le sexe et lui n’avait rien d’autre sous la main, du moins rien d’autre sans le sida.
Le couple parfait, la blonde et le beau brun, la doctoresse et Tarzan (à moins que je ne fusse la gorille Kala). Et les mourants, il les voyait comme de petits singes joueurs. Il tentait de les convertir en les persuadant de verser un petit montant à l’Eglise de Scientologie :
“…Qui vous sauvera de vos misères, croyez-moi, en vérité c’est le seul chemin vérit… able.”

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