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Je suis mort un soir d’été, alors que mes enfants et ma femme dormaient. Tout le monde dormait. Il devait être autour des 3 heures du matin. Ville spectrale, rues muettes, moustiques grillés contre les lampadaires, immobilité sèche de l’air et j’essayais de distinguer le ciel derrière la vapeur estivale.
Je ne pensais à rien de particulier, vraiment. Un peu anxieux peut-être, à cause d’une vie qui au milieu de la nuit sans sommeil et sans étoiles m’apparaissait sans queue ni tête. J’avais envie de rêver mais aucun rêve un petit peu agréable ne me venait à l’esprit. Rien de spécial, vraiment. Sans doute que des centaines d’autres faisaient pareil dans l’intimité de cette nuit étouffante.
J’ai commencé à ressentir un poids sur la poitrine. D’abord, j’ai cru que c’était le manque d’air ou l’anxiété latente, ou les deux. Je me suis resservi un peu de tisane. Ensuite, j’ai transpiré de grosses gouttes de sueur poisseuse. Je sentais mauvais et mon cœur battait à tout rompre, me rendis-je compte. La nuit était plate, sourde, inerte. J’ai reniflé ma tisane, sans vraiment savoir pourquoi. Cette soudaine oppression me parût tellement disproportionnée – je n’étais pas à ma première insomnie tout de même – que je soupçonnai ma femme de chercher à m’empoisonner.
Ella aurait pu chercher à m’empoisonner. Pour l’argent déjà , et ensuite parce que je n’apportais rien de fondamentalement indispensable dans sa vision de la vie de famille. Je tournoyais autour de ses concepts sur la vie, la famille, la société, le grand carrousel de sa vision du monde, satellite moucheron dont l’unique manne était financière. Un divorce aurait réglé l’affaire mais nous ne divorcions pas, sans raison, du moins sans raison qui me vint à l’esprit en cette nuit finale.
La nuit était décidemment trop vide et trop silencieuse pour justifier de mon état. J’ai essayé de ricaner mais je me suis mis à tousser de plus en plus fort. Du sang. Du sang sur notre balcon, du sang là où ma fille jouait tous les matins d’été depuis la fin de l’école. Une camionnette passa dans la rue adjacente, pétaradant tel un gros rire. J’ai essayé d’aspirer un peu d’air. Qu’un gargouillis. Je me suis levé pour hurler. Qu’un râle. Je n’ai pas eu peur, mais je me sentais tellement impuissant, moqué par le silence moite. La douleur me vrillait la tête. J’ai vacillé vers la chambre à coucher. Ella dormait. Pas de poison ni rien de la sorte, je mourais juste comme ça, sans raison, au milieu d’une nuit anodine. Je m’effondrai dans le lit, à côté d’Ella, comme si je me couchais pour ne pas la déranger, au loin deux filles éclatèrent de rire, et là , à ce moment, je mourus.

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