3.

« Vous avez besoin de changer de vie ? »
« Je n’ai rien à voir avec Luc et je ne le connais pas. »
« Luc s’est noyé dans sa baignoire, tôt ce matin. »
Lagon froid, expiation passagère d’un rêve passager, je l’ai vu couler dans mon rêve comme si mon rêve avait pu le tuer. Luc, juste un type excentrique comme j’en ai vu passé beaucoup dans ma chambre de bonne. Excentrique ? Même pas. Tous des passagers de l’ennui absorbés par mes délires nocturnes.
« Je n’ai rien à voir avec ça. On s’est à peine parlé. »
« Vous seriez restée, et peut-être serait-il encore vivant… »
Le salaud, le sadique, l’ignoble bâtard. Il tenait une pipe en plus, une pipe bordeau comme sa toge, et admirait les rues défilant en direction de l’autoroute ; au-delà de son profil à la barbe bien coupée, bien ciselée, scintillait la vue du lac désormais ironique.
« Vous êtes son père c’est ça ? Vous me tenez pour responsable ? »
« Non. Il était mon protégé, et comme tout protégé il portait une caméra miniature sur lui. Et malheureusement pour vous, vu ma couleur je dois en référer à l’administration. »
« Une caméra miniature ? C’est quoi ce délire ? Votre couleur ? Votre préférence pour le bordeau fait que je suis embarquée dans une histoire de secte ? »
« Je ne suis pas bordeau. Je suis Violet. »
Il s’est exprimé d’un ton sec, comme si j’avais été incapable de discerner correctement un grade religieux important. Le reflet maussade de son regard dans l’habitacle sous la lumière violacée d’un orage d’été, il s’exprimait intensément et sans une once d’humour, et la voiture filait sur l’autoroute nous séparant de Genève, entre ses yeux figés sur moi. En arrivant vers l’aéroport, il s’est mis à pleuvoir. Mon hôte m’a souri : en effet, la météo, nerveuse, gonflait sous d’énormes cumulus violets dont la menace lui donnait raison. Passé une frontière privée, la Cadillac glissait sur le bitume de l’aéroport vers une zone de décollage. Après la formalité des douaniers, sa pipe avait l’air satisfaite, comme l’orage sur le point de nous tomber dessus. Sous mon t-shirt mis à la va-vite, une désobligeante pointe d’excitation m’a rendu mes seins désagréables. Liberté ? Non : embarquée. Pour la première fois, j’ai eu envie de fuir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…