5.

Il a jailli du sol, se dépliant sur une plaque chromée que j’avais eu largement le temps de haïr. Il existe des centaines de philosophies qui disent que la haine et l’amour se rejoignent dans l’absolu. Jamais je n’aurais pu imaginer l’absolu sous la forme de mon propre corps nu et comme inutile au milieu du béton insonorisé. En rampant près du podium érigeant le portable je me cachais à moi-même dans le reflet du miroir : chaque acte je l’avais jeté sur ce reflet et cette présence qui était juste la mienne tenait de la plus pure métaphore de la torture. Ma nudité grelottante se foutait de ma propre gueule et chacun de mes hurlements s’arrêtait net au reflet de mon propre visage déformé par la peur qu’il ne resterait que ça, de moi : une image, une vidéo insensée. L’apparition de cet ordinateur portable, de cet objet lisse et superbe, a rendu mon corps entier, mon visage, mes yeux, et tout qui pouvait encore tenir debout derrière, très ridicule. Finalement, je n’étais que ça.
Longtemps, je me suis tenue recroquevillée contre le podium de l’ordinateur, parce que le lent sifflement du refroidisseur de son processeur représentait mon unique espoir. Je l’aimais, cet ordinateur portable, je l’aimais déjà plus que moi-même parce qu’il incarnait l’espoir que je puisse bêtement encore exister.
Après un temps indéterminé inerte à ses pieds j’ai fait l’effort de me voir nue en face de lui dans le miroir. Tête droite, mes épaules nettes, nuque détachée, seins pointus, jambes dressées et fesses cambrées, être face à moi-même dans ce miroir, fière sous le néon inquisiteur, défiant de potentiels regards par milliers et n’étant que seule. Dans le miroir comme si le monde entier pouvait me voir trembler en face d’un portable déplié. Dans cet étourdissement lorsque je me suis mis debout j’ai entrevu des millions de webcams soupirant ensemble un ouf de satisfaction parce que j’étais comme une enfant qui s’imagine au centre du monde par sa seule existence. J’étais la star de ma propre vie en me redressant nue en face de cet ordinateur. En face de lui, je me suis un peu cambrée, tenue bien droite malgré cette envie geignarde d’hurler, et je me suis sentie, un instant du moins, dans le reflet du miroir, en me fixant moi-même dans le blanc des yeux, le droit d’exister. Je parle de la possibilité de mourir.
J’ai osé me pencher. Sur l’écran s’affichait uniquement : « Vous avez été invité sur [p], votre numéro d’identification est : 21398, veuillez rentrez un mot de passe et le confirmer, votre inscription sera identifiée par un email envoyé à l’adresse que vous voudrez bien fournir dans le champ suivant. Cliquez ensuite sur OK. »
L’humanité est d’un barbare. Aussi barbare que la limpidité de cet écran. C’en est exaspérant.

Une réponse

  1. Passage discret par chez toi.

    “Ne toucher la gousse qu’avec deux doigts pour ne pas infecter toute la main. La gousse d’aïl entre l’index et le pouce et la hâcher précisement avec un couteau bien aiguisé. Il ne regarde pas les croutes qui couvrent les phalanges. Il veut oublier les coups violents contre le béton du mur du garage où il s’est réfugié. A vie.”

    La suite sur http://hirsute.hautetfort.com

    Merci

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Calcul *Captcha loading…