11.

Encore une fois je n’ai rien compris. York s’amusait plutôt de ma bouche bée, comme d’ailleurs la plupart des passants qui du haut de leurs différentes couleurs ne manquaient pas de lorgner avec amusement sur mon infrarouge insignifiance. Pourtant il n’y en avait beaucoup dans la foule, d’êtres de ma couleur un peu errants, clairement dans le doute ou la fascination. Et pour la première fois j’ai pensé en termes d’effacement. Je n’ai pas pensé au suicide ni à la mort ni à toute autre forme de disparition sociale comme j’avais eu tant l’habitude de le faire dans ma chambre de bonne, mais simplement je me suis dit : et si je m’effaçais, que se passerait-il ? Comme elle avait encore cet air d’innocence accroché au visage, je n’ai pas hésité à lui poser tout de suite la question.
« York. Je crois qu’il y a un truc important, ici. Si je comprends un peu. J’ai le choix de m’effacer n’est-ce pas ? »
« Tout le monde a la possibilité de s’effacer, oui. »
« Mais qu’advient-il de ceux qui s’effacent ? »
« Pffff. T’es lourde toi pour ton premier jour. J’en sais rien moi de ce qui leur arrive. Personne ne sait. Sauf peut-être la très haute Administration. Alors il y a des conjectures. Selon ce que j’ai pu lire jusqu’à maintenant dans les différentes propagandes ou sur les forums, ceux qui s’effacent retournent simplement à la surface, dans leur vie réelle. L’Interface elle-même est floue à ce sujet. On peut y accéder à l’effacement sommaire bien sûr mais il n’y est fait mention que de nos possibles vexations par rapport à la découverte de ce nouvel état d’esprit. On ne parle pas de ce qui est en-dehors de Parano. Ce n’est pas tabou. C’est… »
« Juste sans intérêt ? », hasardai-je.
« Exactement. On n’est pas ici pour discuter des si. Soit on est ici et on accepte les règles, soit on se tâte indéfiniment avant de disparaître je ne sais où. »
Je me suis fait la remarque que j’étais condamnée. Cet uniforme gris clair, infrarouge, ce monde souterrain, tout ce phénomène dont je ne percevais qu’une parcelle de possibilités, s’offraient à moi. En même temps, cet univers me paraissait parfaitement ridicule. Mais, et c’est un vaste mais, on m’avait choisie, j’avais été élue pour sortir de ma vie et être ici. Le verre d’eau, la prison de béton, cet ordinateur portable s’appuyant maintenant contre ma hanche, autant d’évènements qui tout à coup prenaient sens, même si je ne savais pas lequel.
Peu importe.
« Tu n’as pas accès à grand-chose maintenant. Les infrarouges n’ont accès à rien en fait. Je peux juste te montrer le Scanner, ta cellule, et te montrer l’Interface, c’est tout. Et souligner le fait que tu dois absolument faire une belle Fiche. De ta Fiche dépend ta survie ici. Tous ces verts que tu vois là dans le hall, il y en a parmi eux qui vont aller visiter ta Fiche, et ce sont eux qui vont décider si tu peux ou non rester avec nous. »
J’ai eu envie de pouffer tellement ça m’a paru grossier. York venait de me dire que je n’étais que la possibilité d’exister ici. Que sans doute, et avec un gros doute, c’était ma seule option pour survivre. Alors que je ne savais même pas qui j’étais dans ma propre vie je devais affirmer ma présence avec une seule certitude. Ici, au départ, je ne suis rien.

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