12.

« Je ne sais pas trop comment prendre ce que tu viens de me dire. D’un côté cela signifie que si je m’arrange pour que personne ne m’aime ici je pourrais être débarrassée de cet endroit, d’un autre côté je me demande si ce n’est pas simplement le monde entier qui sera débarrassé de moi. »
Mais York ne m’écoutait plus. Elle venait de croiser une amie de son âge, uniforme orange, et toutes deux s’étaient mises à roucouler et soupirer et marmonner comme deux jeunes filles qui parlent de mec. Elles parlaient de galerie photos, d’un photographe « canon » et l’autre rougissait tout en agitant ses mains. Bref, l’âge bête. En même temps si Luc s’était fait cette York, je devais être aussi conne qu’elle. Cette invraisemblable propension de la jeunesse à oublier tout ce qui l’entoure grâce à une histoire d’entrejambe : fascinant. Mon regard s’est lentement déplacé vers ces milliers de visages bougeant en même temps sur le Scanner. Y’avait-t-il un point commun entre eux ? Je dirais que seule une minorité dépassait la quarantaine mais à part ce maigre détail il y avait vraiment de tout. Un mur vivant d’expressions, un titanesque écran quadrillé de vies enfermées à des lieues sous terre, réprimer un frisson, m’éclaircir la gorge. York toute excitée m’a prise par la main.
« Viens 99398 je ne vais pas avoir le temps de tout te montrer maintenant, j’ai rencart dans une heure pour arranger ma galerie photos et peut-être même, vidéo. »
Pétillante sur ce dernier mot elle m’a tirée en direction des ascenseurs groupés en essaims verticaux dans un coin de la cathédrale du Scanner.
« Allons directement voir ta cellule et ta Fiche. De toute façon tu auras bien le temps de découvrir le reste par toi-même : c’est aussi comme ça que ça se passe ici, faut pas croire que je vais être ton guide touristique… »
Genre clairement : j’ai d’autres choses à foutre que de trimbaler une vieille récalcitrante (à plus de trente ans on est vieux pour ces poupons-là ). Bousculant quelques personnes au passage nous nous sommes précipités vers l’un des premiers ascenseurs disponibles, qui de près ressemblaient plus à d’énormes plateformes pétrolières, et j’ai senti la douce caresse d’un laser sur ma nuque en y entrant alors que mon numéro s’affichait sur un écran verdâtre à côtés des autres. Une voix presque feutrée à force d’être métallique a susurré :
« IDs enregistrées, élévateur chargé, attention à la fermeture des portes. »
Et je me serais presque crue dans le métro en fermant les yeux, sauf que nous nous sommes mis à descendre à une vitesse proprement ahurissante.

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