19.

Seul ce sentiment persistant d’avoir été choisie m’a permis de me redresser.
« Errata tu t’attendais à quoi ? A un quatre pièces avec vue sur la mer ? »
Pourquoi toute la société là -haut n’a jamais parlé de cela ? Pourquoi aucun journaliste n’a-t-il jamais réussi à infiltrer ces lieux et à en parler ? Pourquoi aucune secte, aucun homme politique, aucun parti ou je ne sais quelle organisation secrète n’a-t-elle jamais dénoncé l’existence de ce monde souterrain afin de s’assurer encore plus de pouvoir ? Et pourquoi les ouvriers qui ont construit ces murs n’en ont-ils jamais parlé à leurs enfants pour que ces sornettes deviennent enfin des contes ? Et pourquoi aucun satellite militaire ni aucune fouille archéologique ni aucun spéléo amateur n’est jamais tombé sur le symbole [p] gravé dans une roche à plusieurs kilomètres sous terre ? Parce que jamais, jamais personne n’a réussi à sortir d’ici vivant.
Mais le plus troublant résidait surtout dans le fait que personne ne s’affirmait pour revendiquer la mainmise sur tous ces gens. Ces grades, ces couleurs, cette organisation plus que totalitaire, il s’agit bien de pouvoir, de contrôle, pas un humain pour prétendre être à la source de cela, pour faire de tapageurs discours s’affichant de temps en temps sur les écrans digitaux, afin qu’Orwell soit définitivement hilare ?
J’ai été choisie.
Par un crétin de cinéaste amateur qui baise mal et qui a eu la bonne idée de se suicider.
Point d’interrogation.
Se suicider ?
Mais. Comment a-t-il pu seulement être trouvé mort chez lui s’il fait partie de [p] ? Comment a-t-il pu seulement SORTIR d’ici ? Lentement je me suis retournée vers les deux zigotos à l’entrée de ma Fiche, et j’ai vu leurs yeux ronds me fixer comme si je venais d’avaler de l’arsenic.
« Dites-moi. On peut sortir d’ici n’est-ce pas ? »
De yeux ronds à yeux en fente.
« Ton niveau d’accréditation ne te permet pas d’avoir accès… », l’indigo éructe.
« A ce genre d’informations oui je sais. Donc on peut. »
« Pas vraiment. Enfin, d’une certaine façon j’ai entendu dire qu’on peut, mais il faut être Orange pour cela. »
J’ai imaginé le dernier paquet d’oranges granini que je m’étais acheté dans mon ancienne vie – je pensais déjà comme cela : mon ancienne vie de larguée dans son cabanon privé au grenier, terrible, et je me suis mise à rire compulsivement.

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