Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : O. | D’ivoire

Avec son front bombé jaillissant du paysage vert pâle des champs flous en contrefond, le soleil rasant la campagne. Les nuages s’étirent longuement, lourds, lambris cisaillant d’un bleu profond le vert plus foncé des forêts. Et plus à droite le plomb liquide du lac que le train longe de Lausanne à Genève comme chaque matin, et en face de moi son front bulbeux jauni par le soleil à l’horizon. Je me dis aussi que je n’y comprends rien, à tout ce paysage qui m’est offert gratuitement et que j’admire alors qu’elle m’assène du haut de sa sagesse de mère: "J’ai fais des enfants par peur de mourir, par peur de l’ennui et, peut-être un peu aussi bien qu’on ne sache pas du tout, surtout les mecs, ce que ça signifie vraiment, un peu par amour." Pendant qu’elle babille je me rappelle que je n’ai pas "fait" des enfants, mais qu’ils me sont tombés dessus parce que je ne savais pas qu’en insérant mon pénis là , et l’ayant inséré sans conséquence similaire durant quatre ans mais il est vrai dans un autre réceptacle, cela pouvait avoir comme effet immédiat l’apparition d’enfants. Sublime naïveté d’ivoire qui fait se tourner vers le présent un mec blasé, alors qu’un troupeau d’éléphants se prépare à lui masser le dos. Enfin oui je le savais, mais pas si immédiat que ça, pas si "tout de suite là "; ce que je veux dire peut-être c’est que j’ai moins fait des enfants qu’ils ne me refont quotidiennement à coup d’imprévus joyeux dans la mâchoire. Et elle y va de ses théories sur les enfants et la vie. Elle fait un détour laborieux par la peur de la mort en jetant de longs regards au paysage défilant à quelques mètres, enrobant toute sa réflexion d’un cynisme si contemporain qui lui fait ajouter en finissant son café, impuissant à la réveiller: "De toute façon j’ai déjà assez voyagé, assez profité, bien assez baisé, et maintenant j’ai de 30 à 40 ans la possibilité d’oublier que je vieillis en m’occupant un peu de mes enfants et en faisant carrière: parent et boulot ça me laisse peu de temps pour me poser des questions". Je grogne un sourire. Il me semble avoir déjà entendu ce discours mille et une fois. En me plongeant dans mon propre café je me dis que le concept de "parents" m’est totalement étranger. Ou peut-être que je le fuis. C’est un rôle, une fonction à laquelle je ne m’identifie pas du tout, me sentant certainement plus "pendulaire" que "parent". Tout au plus, je serai papa durant une douzaine d’années, autrement dit pas grand chose, alors je ne vais pas tout boulverser de mon existence, de mon être ou de ma pensée sous prétexte que je dois assumer une tâche durant 12 ans, comme certains, certaines – je médite sur la bosse de mon interlocutrice – , dont toute la vie (ou la perspective sur ce concept flou qu’est " toute la vie") semble basculer à la naissance de cet autre petit amour. Ca me rappelle ce poète qui pensait être poète juste parce qu’il habitait au sommet d’une tour d’ivoire. Elle a voulu savoir en sortant si je prenais ce train souvent mais je me suis éloigné en secouant la tête en silence.

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