Manifeste d’un pendulaire Lausanne – Genève : P. | Ne rien faire

Comme les autres je fais souvent semblant de me plonger dans le journal pour ne pas avoir l’air de ne rien faire. J’y ai lu hier soir une phrase qui m’a fait rêver: "[…] le quincagénaire dont l’existence solitaire a pris fin sans personne pour le remarquer il y a plusieurs jours dans cette pension de mauvaise réputation." Ne rien faire, mourir, sans que le reste du monde ne s’en aperçoive. Quel destin merveilleux. Ne rien faire et laisser le soleil inonder les villes à la suite de la lune et à la suite du soleil, filant dans le ciel comme un éclair entre le lever et le coucher, et les étoiles de basculer vers l’autre jour l’instant d’après, pendant que les myriades de petits pieds filent à toute allure dans tous les sens sur des trottoirs balayés par les feuilles et la seconde suivante ensevelis sous la neige, qu’ils vident leur café en un clin d’oeil sous les feuilles qui ont repoussé et l’été qui resplendit quelques secondes le temps de laisser place à nouveau aux trottoirs balayés par le vent; s’arrêter, bailler et ne rien faire, feuilleter un livre à l’ombre d’un immeuble qui disparaît, aussitôt remplacé par un autre. Ne plus être traversé d’idées, de concepts, de désirs, parce que tout va bien trop vite pour eux, plus le temps de les avoir, juste contempler ma propre fixité sous la tornade des saisons, à côté de l’apocalyptique fourmillère du genre humain, et pop! pop! pop! des rafales de nouveau-nés hurlant quelques secondes, le temps de devenir adolescents, d’aimer de détester et de manger, et hop! au boulot. Et mourir ainsi gentiment en laissant le monde tournoyer dans le vide et dans le temps. Quelle image reposante! Grâce à elle cette nuit j’ai presque réussi à éviter l’insomnie.

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