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A01
La Violette ne prend pas beaucoup de temps pour agir. J’attends en général une minute avant de me réveiller 15 heures plus tard. Je sais que Nathalie disparaît après quelques secondes. Sur le web, personne n’explique clairement ces variations. La seule constante est le temps entre la disparition et le réveil: 15 heures, 900 minutes, 54’000 secondes. Avant d’en prendre, j’avais l’espoir d’être différent, d’être l’unique, celui qui interromprait enfin la logique implacable de la drogue. Mais comme tout le monde mon temps a disparu et je me suis réveillé 15 heures plus tard, sans aucune sensation de sommeil, sans aucun souvenir de rêves, sans me sentir reposé ou même d’avoir disparu un intervalle de temps. Je me suis juste réveillé 15 heures plus tard comme si j’avais cligné des yeux quelques secondes supplémentaires. D’ailleurs, contrairement à ce qui se dit, je ne crois pas qu’on puisse parler de réveil. C’est plutôt comme une réapparition dans le réel, un voyage dans le temps soudain et vide, propulsé 15 heures plus tard. Je ne sais pas trop ce que ça signifie, mais mon impression est que le temps est contracté par la Violette. A priori la drogue aurait un effet sur le tissu du temps lui-même. C’est ma théorie. En fait pour les autres j’ai dormi sans qu’il ne soit possible de me réveiller. Dans les hôpitaux ils ont assimilé l’état à un coma passager, comme un coma éthylique, sans pourtant ne trouver aucune trace de la drogue. Mais si l’activité cérébrale est celle d’un sommeil profond sans rêve, la réaction du cerveau aux stimulus extérieurs est nulle. Seuls le rythme cardiaque et la respiration sont maintenus, ainsi que tous les systèmes végétatifs. Comme tout le monde je crois, je me suis demandé si je mourais durant 15 heures. Nathalie m’a répété que c’est inutile de se poser cette question. Jusqu’au jour où ils ont débarqués dans l’appartement avec leurs masques de protection.
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D48
C’est assez facile de vivre normalement.
Les trucs qui se répètent chaque jour comme une sorte de loi impénétrable à laquelle je me conforme parce que j’ai besoin de ces trucs qui se répètent chaque jour. Dans une certaine mesure absurde, si je n’en avais plus besoin, je m’inventerais encore d’autres trucs que je répèterais chaque jour pour ma plus maigre satisfaction. Cette situation est assez flexible finalement. La normalité est très accessible.
La violette possède ceci de particulier de ne rien perturber de la normalité; elle la prolonge d’un point à un autre sans se poser la question de ce qui les sépare, si ce n’est 15 heures étranges de non-sens total. La première fois que j’en ai pris, j’ai cru que j’avais voyagé dans le temps. Puisque j’a cligné des yeux et soudain il a fait nuit.S’ils sont venus dans l’appartement, c’est que le taux d’absence dans l’immeuble avait augmenté au-delà du taux officiel admissible.
Le taux, c’est sacré, et comme certains d’entre eux pensent que la violette est une sorte de virus, au-delà d’un certain taux ils viennent avec des masques et des protections. Nathalie était dans le vide alors que j’étais conscient. Je me faisais un café et le ciel était gris, par la baie qui découpe la vue de la cuisine je ne voyais personne dans la rue. Un jour de travail à domicile comme un autre. Quand ils ont débloqué la serrure, je me demandais pourquoi je ne sauterais pas de 15 heures en 15 heures à l’infini.Le vent soufflait dehors et il faisait froid autour de mon café. Je flottais aussi inconsistant qu’un nuage de lait. Autour de moi, il n’y avait presque plus aucune limite.
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G85
Quand la serrure automatique s’est ouverte à leur demande, j’ai cru n’avoir plus le temps. Ils étaient trois, protégés par leurs masques et leurs costumes conformes. J’étais en pyjama, la poudre violette sur une assiette devant moi à côté du café mais je n’avais plus le temps d’en prendre. Ce réflexe de croire que je n’avais plus le temps m’a fait sourire. Ils étaient là justement parce que j’avais tout le temps et que c’était interdit. Ils ont tiré et la poudre s’est envolée en même temps que mon café a giclé. J’ai eu le temps de penser qu’ils avaient plus peur que moi, qu’ils avaient peur de l’avenir tandis que je l’embrassais. Des infirmiers sont arrivés avec un brancard sans demander si c’était nécessaire et ils ont embarqué Nathalie comme une chienne morte. La poudre violette flottait toujours devant moi. Le café giclait en suaves volutes brunes qui s’éparpillaient par gouttelettes fleuries dans l’air. J’aurais voulu me plaindre, invoquer d’anciennes lois qui parlaient de libertés. Ils allaient me pousser dans leur fourgon sous les yeux plissés de la boulangère, le poing fermé du voisin m’avouerait toute sa haine de ma passivité de camé.
Je serai passif car j’ai plus de temps qu’eux tous. La violette me rassure: elle murmure que je n’appartiens plus à leur temps conditionné. Je m’échappe en observant les gouettelettes de café retomber sur la table, la poudre flotter au-dessus de l’assiette, c’est bizarre j’en ai dans le nez, la seconde balle qui vise l’assiette passe trop près de moi. Une corrélation incongrue m’amène à dire:
« Vous n’avez pas le temps d’être ici! »
Mais je ne crois pas que j’aie réussi à articuler autre chose qu’un râle.
Je n’ai pas le temps d’entendre la réponse.
Car cette corrélation est la suivante: quand on n’a plus de temps, on a tout le temps. Il existe un lien étonnant entre la nullité du temps et son infinité.Une forme d’aveuglement grandissant m’enveloppe avec coriacité, alors que les trois gardiens de la loi s’approchent leurs armes fumant encore – je les vois bien fumer, et eux leurs grimaces ridicules. Suis-je déjà en manque?
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J22
Je suis monté dans un bateau et ce bateau était vide. Mais j’ai eu l’impression qu’il était vide. En fait il était rempli de miasmes. D’un monde que je quittais. Il n’y pas de bateau vide, il y a seulement des bateaux qui partent en espérant retourner et ceux qui ne reviennent plus. Ce qui existe entre deux, entre le vide et l’espoir, tout le monde s’en fout. Dans cette cryogénique indifférence, la mer luxuriante d’écumes et grise de tout son vide en frappant la coque me comblait de cette certitude: il n’y a pas d’autre rapport entre les Hommes que ceux de leur utilité. Dans le fragment minuscule et parfois jovial qui reste, il y a peut-être l’amour, mais qui sait encore ce qu’il signifie?
J’ai quitté la terre en admirant le visage de l’amour se superposer, ricanant, aux montagnes floues disparaissant derrière le déchaînement quotidien des flots. Nathalie dormait à l’horizon et ricanait dans son sommeil artificiel.Nous avons mis le cap vers une île inconnue en même temps que je décidai de ne plus jamais poser les pieds sur un continent stable.
On peut imaginer l’amour, quel que soit sa consistance, beaucoup lui donnent un sens, ils s’inventent une relation à l’autre pour s’aider à vivre moins seuls.
Tandis que la poudre violette défaisait le temps en même temps que moi: j’étais décousu par un temps qui ne me restait plus, un temps qui échappait à tous ceux qui comme moi en prenaient. Par exemple, mon lien à Nathalie, d’amour peut-être, avait été avalé par la disparition du temps offerte par la poudre. Sérieusement: je ne savais plus ce que le temps des autres voulait dire. J’étais camé, j’étais vidé du temps, parce que le temps était devenu ma drogue et, comme c’était merveilleux, j’en aspirais et avalais encore pour échapper à son dictat.
15 heures de moins, et 900 minutes, et 15 heures de moins, fait-il nuit, fait-il jour, peu importe. -
M69
Un matin brumeux mais calme, j’ai appris devant un ironique café qu’on nous transportait par containers entiers vers une île montagneuse. Sur le bateau, on nous sevrait tous: les containers accueillaient ceux qui avaient réussi à passer les fouilles avec la violette et en avaient pris en cachette. De les voir empilés là-dedans comme des tas de viande me soulevait l’estomac.
L’horizon vide caché derrière la brume et la mer plate élaguaient les journées à la manière de la drogue qui dans ce déplacement lent et intemporel me manquait un peu moins.La plupart erraient entre les ponts ou s’agrippaient au bastingage comme prêts à se jeter dans les flots. Je ne croisais que des regards flous et fuyants et les dialogues se limitaient à:
« Les croissants sont immangeables. »
« Tu en as trouvé à la cafétéria du bas? »
« Il y a aussi une cafét’ en bas? »
« … »
« Cette mer est lassante. C’est la mer du Nord non? »
« Je vais voir en bas l’autre cafét’, je l’ai pas vue. »
« Ca m’a tout l’air d’être la mer du Nord… »On nous avait bien sûr confisqué les téléphones et il nous était impossible de connaître l’exacte localisation. Cette mer grisâtre et infinie sous la brume aurait pu être n’importe où, même si le blondinet avait raison, la relative fraîcheur et la grisaille nous situaient plus au Nord.
Je ne parvenais plus à dormir correctement. Mes nuits ressemblaient au grésillement statique d’une TV sans programme: cette vision apparaissait quand je m’assoupissais quelques minutes avant d’être à nouveau conscient. A entendre les échanges sous les néons entre les autres qui ne dormaient pas, immobiles et vissés comme les tables et les chaises aux sols métalliques, je comprenais que nous étions nombreux à partager cette vision d’une TV morte en plongeant brièvement dans l’inconscience.
D’un naturel paranoïaque, j’essayais de me calmer. La poudre violette aurait-elle été un mélange de nanoparticules programmées pour transformer à moyen terme tous les consommateurs en esclaves contrôlés? Lorsque la TV s’allumera dans nos esprits obéissants et observés. -
P06
La neige s’est mise à tomber un peu plus tard dans l’après-midi, quand l’éclat laiteux du ciel s’est assombri. On avait sorti de gros manteaux laineux qui nous faisaient ressembler à une démultiplication du même personnage dans un tableau surréaliste de Magritte. Des bonhommes gris, asexués, vagabondant d’un pont à l’autre, grimpant lourdement les escaliers en échelle. Parfois, deux militaires passaient. Ils ne disaient pas grand chose, nous observant de loin presque avec dégoût.
« Les camés du temps. »J’ai sursauté, pris par surprise par cette voix féminine si proche dans mon dos alors que le navire était le plus souvent nimbé d’un mauvais silence à peine interrompu pas les quelques bourrasques.
Dans son manteau entrouvert, elle possédait des attributs généraux sensuels: hanches larges, fesses rebondies, seins généreux, bras assez épais mais le visage large et fin tout à la fois, figé dans un sourire sardonique alors qu’elle s’écartait de moi pivotant autour de son bras tendu, accrochée à la balustrade, dans un tournoiement presque séducteur. Elle m’a tout de suite impressionné, si radicalement différente de Nathalie. J’ai pris un air solitaire, teinté de mystère, pour donner le change:
« Ils n’ont jamais trouvé un milligramme de substance illégale dans les veines de ceux qui dorment. »
Elle m’a souri de biais en se retournant vers la mer qui surgissait parfois du brouillard. Puis elle m’a tendu brusquement le dos de sa main comme pour un baise-main, plissant des yeux pour m’y inviter, charmeuse. Hésitant, je l’ai saisie en la secouant un peu.
« Marguerite. »
« David. »
« Enchantée, David! Mais tu vois on peut être camés de tout plein de choses invisibles. Invisibles d’abord. »
J’étais bien sûr d’accord avec elle. L’absence de traces de la violette ne signifiait pas que nous étions indemnes. Au contraire, l’absence de la substance elle-même, l’absence d’effets secondaires, l’absence de tout en fait, ce vide dans la drogue, pendant son effet, n’avait d’égal que le vide après, dans un état conscient mais avec une âme transie, éberluée.
« …Comme si on avait traversé un grand désert glacial, de sable noir, de ciel noir sans étoiles, d’horizon à peine visible, présent… mais toujours absent, » ai-je terminé en murmurant.
Elle a posé sa main sur la mienne agrippée au bastingage, un lien soudain qui m’a semblé presque vide, une petite étincelle d’une autre existence bannie. -
S43
Une lente adaptation des systèmes politiques s’était déroulée sous mes yeux sans que personne ne s’en aperçoive. Néanmoins, une célèbre journaliste avait osé terminé sa rubrique par « …et c’est donc ainsi que la démocratie meurt: sous un tonnerre d’applaudissements. » La journaliste en question avait disparu peu après.
J’avais été de ceux qui applaudissaient, quand je travaillais encore. Puit petit à petit j’avais ressenti le graduel affaissement de la confiance des jeunes dans le système politique et avec les ans, la conviction naissante que les votations populaires amenaient au pouvoir des personnes en qui d’emblée personne n’avait confiance. On votait par devoir, comme une ancienne croyance à laquelle on obéit encore, on s’agenouillait mais on ne priait plus personne.Nathalie se faisait un nouveau tatouage à chaque fois qu’un pays basculait dans ce qu’elle surnommait la démocratie dictatoriale. Elle avait ce côté radical, extrémiste politique qui avait d’abord cru en l’écologie, puis au nouveau féminisme, avant de réaliser qu’on ne pourrait rien faire en se collant à des routes ou en montrant ses seins, que l’arène était politique et qu’il fallait se battre avec les armes mises en place par ceux-là mêmes pour qui une majorité ténébreuse avait voté. Elle disait: « Majorité ténébreuse. » J’ai souri à ce souvenir dans la pénombre bleutée de la cabine que je partageais avec trois hommes qui dormaient 10 heures par jour mais sans la poudre, par pure et simple dépression.
« …ça ressemble à une démocratie, tu vois on vote, du coup on pense que tout est légitime, mais en Russie ça fait depuis longtemps qu’ils votent pour un dictateur non? En fait les gens savent bien que c’est bidon, en fait je vais te dire ils s’en tapent. Ils élisent des représentants en haussant des épaules, ou pire par provocation. Beaucoup parmi les plus jeunes des Nouveaux Groupuscules votent pour le plus grand fouteur de merde. Ils ne sont pas anar. Ils ne savent plus en quoi croire. Ils ne croient plus en rien. C’est la majorité ténébreuse qui décide de tout, mais personne ne sait vraiment qui c’est. » Elle avait commencé à prendre la violette par désespoir, elle avait augmenté les doses bien plus vite que moi.Les militaires n’avaient même pris la peine de fouiller ceux qui dormaient dans les containers comme elle, et je soupçonnais qu’ils s’y réveillaient et en reprenaient tout de suite, comme pour attendre ce jour lumineux qui ne viendrait pas plus dans 15 heures que dans un an.
De retour sur le pont avec un café entre mes mains j’ai aperçu les rives dans le brouillard. Nous étions en train de remonter un estuaire ou un fleuve. Marguerite a voulu faire l’amour dans les douches pour femmes, « pour oublier, viens! », mais je n’ai pas pu bander. Je repensais à la majorité ténébreuse errant dans la brume au-delà des rives mortes, dans le silence en rangs serrés d’ombres.
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V80
Je me suis rapproché des deux militaires que je croisais souvent à l’avant du navire. Ils avaient l’air moins débiles que les autres, l’un fumait frénétiquement cigarette sur cigarette, âgé de 20 ans tout au plus. Il m’a confié qu’ils avaient été forcés d’abandonner leurs études d’architecture au moment d’être enrôlés.
« Mais où sont vos officiers supérieurs? Je ne croise que de simples soldats sur les ponts et dans la cantine. »
Ils ont échangé un regard nerveux.
« Les officiers restent dans la salle des opérations. A vrai dire… Ils sont ivres la plupart du temps. Ils jouent à des jeux en réseau entre eux sur leurs téléphones, ou au poker. Ils ont de la coke aussi. Ils ont tous peur de s’endormir. Les femmes se laissent faire. Ils en cherchent parmi les ex-violettes parfois. Ils… Je ne sais pas quoi exactement et ensuite ils les forcent à en reprendre pour s’endormir. »
« Parfois… parfois ils leur font des trucs pendant qu’elles dorment », reprit l’autre soldat. Nerveux, il manipulait la gâchette de son fusil-mitrailleur et j’ai lentement écarté sa main de l’arme.
Je m’étais rendu compte de la tension nimbant les soldats autour de nous, mais j’ai pris conscience qu’elle n’était pas due à la présence des Dormeurs, comme les militaires les appelaient, elle provenait plutôt de la lente dislocation du concept de hiérarchie et d’autorité. Aucun capitaine, aucune autorité soumise à une plus vaste organisation, ne pilotait ce navire. L’armée elle-même était sur le point de s’effondrer.
« Si vous permettez, j’aimerais aller parler avec l’un de vos officiers supérieurs. Pourriez-vous m’accompagner? »
Les jeunes soldats se sont regardés, puis m’ont scruté, puis ils ont regardé autour d’eux.
« Vous ne voulez pas leur parler de ce qu’on vient de vous dire non? »
« Absolument pas. J’ai des informations confidentielles d’une extrême importance au sujet des Dormeurs dans les containers de ce cargo… »
En réalité, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire. Sans doute que je voulais voir à quel point ils étaient défoncés, à quel point ce bateau et ses passagers remontaient un fleuve sans aucune véritable destination, tous perdus dans l’épais brouillard qui ricanait en silence devant le constat vertigineux de cette annihilation.
Les deux soldats allaient utiliser le prétexte de ma demande pour constater eux aussi où en était leur hiérarchie directe. Ils m’ont encadré et nous sommes montés ensemble. -
Y27
Les officiers n’ont pas tout de suite remarqué la présence d’un civil parmi eux. A vrai dire, ils n’ont même pas remarqué mes deux acolytes qui sont restés bouche-bée en débarquant sur la passerelle de commandement. Les instruments de navigation et de communication automatisés paraissaient doués de vie propre, nonobstant la complète dégénérescence des humains à leurs côtés. J’ai remarqué le joystick qui remplaçait le gouvernail osciller tout seul pour corriger la trajectoire dans la blancheur laiteuse cernant les baies vitrées de la passerelle. Mais aucun des officiers ne remarquait plus quoi que ce soit. Ils avaient sans doute cherché au départ à transformer le lieu en un endroit plus festif, aménageant un coin canapé, quelques matelas, mais à ce stade de déchéance toutes les surfaces planes et les tables-écrans de navigation étaient recouverts de bouteilles, cendriers, verres, cannettes, paquets de cigarettes. Le gyrophare d’alerte tournoyait en silence telle une piteuse imitation de lumière festive, au rythme des basses noires et denses qui émanaient d’une enceinte improvisée, techno syncopée, lancinante. Certains officiers dépareillés ou en slip dansaient comme des zombies, quasi inertes, un verre ou une bouteille à la main. Plusieurs femmes avaient les fesses à l’air, inconscientes, étalées sur les matelas et le canapé. L’une d’elle suçait avec application le manche d’une pelle à poussière après avoir sans doute eu l’idée de ramasser les débris de verre jonchant le sol. Une collègue sa chemise blanche d’officier entrouverte et déchirée sniffait de la coke à même la table de contrôle. Une autre léchait la cire dégoulinant d’une épaisse bougie plantée parterre, lappant à quatre pattes sans ressentir aucune douleur, ses mains en sang dans les débris de verre. Un officier au fond de la cabine se faisait chevaucher tour à tour par deux de ses collègues qui riaient hystériquement. Un autre affalé en travers du corps nu d’une Dormeuse lui enfilait dans le gosier avec minutie des pilules de MDMA ou autre, et elle commençait à être prise de convulsions. Le capitaine, du moins celui qui paraissait le plus âgé, fumait du crack adossé à une femme qui se frottait contre lui les yeux mi-clos, en string, elle le branlait lentement sans qu’il ne bande, comme pour souligner le rythme amorphe des basses.
Un jeune officier à la mâchoire carrée a fini par me remarquer. Se redressant, il a titubé jusqu’à moi et a figé son visage à quelques centimètres du mien pour me scruter. L’un des soldats à mes côté l’a aidé à se maintenir droit mais il s’est dégagé d’un brusque coup d’épaule qui l’a presque fait basculer à la renverse.
Les yeux injectés de sang, il puait la vodka, il crissait des dents, un reste de coke au bord de la narine. J’avais devant moi la merveilleuse vision d’une autorité au stade terminal de la déroute.
« Grembl…dormeur, fout là? », peina-t-il à articuler.
Quand il a lentement déboutonné l’étui de son revolver, je me suis dit que de monter ici avait été une mauvaise idée. -
B64
Le coup est parti en même temps que l’arme lui a glissé de la main. Le crâne d’une Dormeuse au sol a éclaté. Alerté, un autre officier a saisi son fusil-mitrailleur appuyé contre le tableau de bord mais il a glissé sur le sang étalé par l’explosion du crâne, et son arme formant un arc de cercle dans sa chute a crépité et arrosé la cabine. L’un des soldats à mes côté a été touché à la joue et des bouts de chair rose ont aspergé mon épaule. Ces petits bouts de viande entremêlés à la laine rêche de mon manteau, que j’ai épousseté par réflexe telles des miettes de pain, alors que la moitié de mon visage était engluée du sang du jeune architecte hurlant, sautillant sur place, et que le capitaine touché en pleine poitrine s’envolait en arrière à cause du choc de la balle, mort sur le coup.
Les hurlements de la femme qui le branlait ont commencé comme un râle qui lentement a envahi toute la passerelle de commandement telle une alerte générale. La cocaïne a fait le reste.
Le jeune mâchoire carrée a aboyé un ordre.
« Grambl, tuez-les, berrgsi, tous, t’ain d’dormeurs! »
Par je ne sais quel miracle militaire les sous-officiers se sont jetés sur leurs armes et l’un d’eux a enclenché l’alarme générale. Croyant être attaqués, les coups de feu sont d’abord partis dans toutes les directions du brouillard par les officiers ivres oscillant sur le pont, puis tous les militaires du navire ont chargé leurs armes pendant que les hauts-parleurs diffusaient des beuglements d’ordres:
« Les Dormeurs se réveillent! Tuez-le tous! Descendez-les touuuuus! Ils se réveillent! Tooooooous! »
Plutôt que de me jeter dehors où tout sifflait – un marin actionnait sans cesse la sirène, un sous-officier stone hurlait des insanités dans le mirco alors que les balles fusaient partout, s’enfonçant dans les carlingues, décimant la foule ahurie et les manteaux hagards qui se percutaient ne sachant où fuir, j’ai tenté ma chance vers une porte latérale. Il n’y avait personne dans le quartier des officiers et j’en ai profité pour me défaire de mon manteau dans une cabine. Sur la table, j’ai reconnu le portrait du capitaine dont la poitrine venait d’exploser, sa femme 20 ans plus jeunes dans un bras, et trois enfants hyperactifs qu’on avait eu toutes les peines à maintenir dix secondes dans le cadre de l’image. Dans une armoire j’ai déniché un veston blanc bardé de décorations que j’ai enfilé en tremblant. On entendait maintenant les hurlements et les rafales des fusils-mitrailleurs à l’intérieur du navire.
A côté du portrait, une page maculée de vin et de restes de coke avait été laissée en évidence: « Ordre de Mission ». « Destination: Lausanne – Suisse ». « Abandonner les containers sur les berges et repartir immédiatement. Des mutations ont eu lieu. Danger. Zone de contamination: Suisse sud, Italie Alpes, France Jura. » -
E01
J’ai enfoncé l’ordre de mission dans une poche et suis retourné dans le corridor sans savoir vraiment où j’allais. Un officier a hésité un instant en me croisant puis il m’a salué dans une grimace sensée être souriante, ses yeux écarquillés sous l’effet du cumul des drogues. D’un geste sec je lui intimé l’ordre de me rendre son arme et il a obtempéré en se mettant à pleurer. J’ai posé une main sur son épaule.
« Ça va aller soldat. On sera bientôt arrivés. On va bientôt rentrer… »
Il a glissé contre la paroi boisée jusqu’au sol en hoquetant, gamin drogué, perdu, qui n’avait sans doute plus aucun endroit où rentrer.
Dans les corridors les soldats paniqués se croisaient en tout sens, pendant que dans les recoins d’autres rechargeaient nerveusement leurs armes, persuadés d’être assaillis par une horde de Dormeurs mutants.
« Ils nous attaquent, ils nous attaquent, défendez-vous! », hurlait un major hilare. Il a attrapé le col de mon veston et dans mes yeux inquiets compris la supercherie. Avant qu’il ne trouve son arme j’ai appuyé nerveusement sur la gâchette sans même prendre le temps de viser et la balle lui a transpercé la cuisse. Il s’est effondré en hurlant mais le coup de feu a fait bondir un groupe de soldats. Ils s’apprêtaient à me tirer dessus quand une porte étanche a laissé se déverser la foule hystérique.
Les fusils-mitrailleurs et les corridors possèdent une connivence naturelle qui tend au carnage. En fuyant j’entendais les crépitements derrière moi faire tomber un à un les inconnus que je précédais et mon tour approchait alors que le couloir était trop long. Je me suis retourné pendant qu’ils rechargeaient: il ne restait que cinq femmes et hommes frénétiques qui m’ont bousculé; le reste de la foule jonchait le sol gémissant, parfois tentant de se relever, pataugeant dans le sang, la plupart inertes. Les canons se sont redressés vers moi quand une porte s’est ouverte, on m’a attrapé par l’épaule et attiré à l’intérieur de la cabine, les canons ont à nouveau craché mais la porte s’est refermée avec le loquet.
Marguerite le visage maculé de sang m’a dévisagé, écarquillée d’étonnement.
« Il fallait que ce soit toi que je sauve », a-t-elle vociféré pendant que les salves se rapprochaient. -
H48
Le petit garçon devait avoir 10 ans. Il me fixait avec ses grands yeux dépassés par toute l’irréalité de la situation depuis l’entrejambe de sa mère tremblante qui le serrait fort.
A bien y penser, cela faisait des mois que je n’avais plus croisé un enfant, juste un enfant, ses petites mains, ses grands yeux, ses cheveux ébouriffés. Au fond de moi je m’étais réfugié dans l’idée qu’ils avaient tous fui ce monde pour une destination colorée seule connue d’eux. Alors que certains journalistes avaient évoqué des déportations massives au Canada, en Russie et en Chine.
« Ils sont clandestins. Elle a voulu suivre son mari endormi par la Violette et les voilà embarqués dans cette histoire, » a chuchoté Marguerite en me dévisageant.
On entendait maintenant régulièrement des coups de feu ponctuels et nous avons pensé au père. Méticuleux et acharnés, les soldats étaient en train de vider leurs chargeurs dans les crânes des Dormeurs, dans les containers. Des cris et des ordres aboyés s’approchaient. Ils défonçaient les portes une à une ou mitraillaient les serrures par brèves rafales. Les gens hurlaient, suppliaient, avant d’être abattus. Après la panique, l’implacable logique militaire avait pris le dessus et même si elle n’en comprenait plus les raisons la machine humaine broyait désormais tout sur son passage.
Le hublot avait environ 50cm de diamètre mais il était vissé à la paroi métallique et en verre trempé. J’ai considéré mon pistolet semi-automatique, puis le hublot. De vagues notions de mon école de recrue me sont revenues:
« Ça doit être un 9mm… Bon poussez-vous ça peut le faire. »
« Dès que tu tires ils vont se jeter sur notre cabine! »
« Je sais mais on fait quoi alors? On attend qu’ils arrivent? »
« Elles ne vont pas ricocher? »
Je l’ai fixée et elle a compris que je n’en savais rien.
La première balle s’est figée dans le verre, la seconde aussi, mais la troisième a fait exploser le hublot en morceaux. Les militaires ont entendu mais ils n’ont pas tout de suite pu nous localiser.
J’ai considéré le brouillard au-delà et l’eau noire dix mètres plus bas.
« Il y a des bâtiments non? Là-bas… », a murmuré la mère.
Dans les bandeaux de nuages qui se déchiraient, on distinguait en effet une côte et une ville, à quelques centaines de mètres, des ombres spectrales sans vie. Un major aboyait des ordres et ils ont tenté d’ouvrir la porte de notre cabine. J’ai regardé Marguerite:
« Vas-y toi d’abord. »
Elle a balayé les restes de verre et s’est hissée, puis elle a eu un court moment d’hésitation la tête en bas et avec un piaillement elle s’est laissée tomber dans l’eau. J’ai fait signe à la mère d’y aller, ensuite j’ai tenu le garçon par les pieds et il a plongé entre elle et Marguerite. La porte dans mon dos a été éventrée à coups de crosses et j’ai tiré dans leur direction ce qui les a retenu quelques secondes. Tandis que les soldats hurlaient des insanités, j’ai grimpé dans le hublot et me suis tenu un instant dans le vide, mon corps pendant contre la coque. Dans les lacis de brume et la houle noire mes trois acolytes plus bas m’observaient, ils m’attendaient comme si nous étions déjà ensemble une petite famille bizarre de la fin des temps.
Les militaires pénétraient dans la cabine quand je me suis laissé tomber, soudain saisi par l’eau noire et glaciale. -
K85
Elles sont venues les deux chez moi dès notre première rencontre. Je les ai croisées dans un bistrot épargné par les gens du quartier, les touristes, et en général par tout client potentiel, tellement son ambiance sombre et à l’écart faisait plutôt penser à une vitrine abandonnée, à un lieu découvert juste par moi, et mes verres de vin enfilés dans la quiétude solitaire. Quand Nathalie partait à la montagne ou retournait quelques jours dans son appartement, j’aimais y vivre ma solitude en buvant avant de rentrer.
Je les ai trouvées là, deux jeunes femmes sexy, l’une un genre de femme d’affaire, l’autre plus sombre, limite gothique, en train de se disputer, essayant de chuchoter mais leurs chuchotis s’élevaient parfois vers de comiques cris muets claquant du plat de la main sur la table, alors que les seuls témoins de cet après-midi étaient le barman et moi. La femme d’affaire me jetait des regards perçants avant de se remettre toute à sa dispute. Elles buvaient beaucoup, un genre de rhum avec du sucre, des glaçons et citrons, la bouteille entre elles.
Plus tard quand je suis rentré un peu ivre elles m’ont suivi. Elles riaient quelques mètre derrière moi et quand j’ai passé le portillon sur la rue en me dépêchant d’aller vers la porte de mon immeuble j’ai remarqué l’une d’elle qui de sa bottine a retenu la fermeture.
Je me suis dépêché à l’intérieur et au lieu d’attendre l’ascenseur j’ai monté l’escalier à tout vitesse. Je les ai entendues en bas dans l’entrée. Elles avaient encore réussi à se faufiler et riaient franchement. Je me suis retranché chez moi et nerveux j’ai observé le corridor par la lorgnette.
Leurs éclats de rire et roucoulements se rapprochaient. Mon palier s’est illuminé et elles ont ondulé jusqu’à ma porte bras dessus bras dessous, souriantes. Elles ont sonné en criant mon prénom. Je ne pouvais pas les laisser faire au risque de réveiller tout l’immeuble.
En fait, j’avais oublié sur la table du bistrot un petit paquet de cartes de visite que je venais de récupérer, et qu’elles me ramenaient.
Elles m’ont proposé de partager de la coke. Nous avons bu, ri, sniffé toute la nuit. Un moment l’une d’elles s’est déshabillée pour me montrer ses sous-vêtements. Ses amples fesses cachaient son string.
« Je les ai refaites à Istanbul, comment tu trouves? »
J’ai approuvé d’un regard expert.
Quelques caresses amusées mais nous n’avons pas fait l’amour. Peu avant midi le lendemain elles ont disparu pour aller à une autre fête, me laissant comme unique souvenir dans une boîte d’allumettes une petite quantité de poudre pourpre.
Bien plus tard sur la terrasse ensoleillée d’un hôtel je les ai revues et cette fois nous sommes allés ensemble jusqu’au bout de tout… Douces harpies jaillies de la nuit qui en fêtant et tournoyant m’ont mis dans les bras de la Violette. -
N22
L’eau glacée m’a rappelé la rencontre avec cette poudre de manière saisissante: j’ai revu les deux femmes dans la nuit des profondeurs, j’ai entendu sous l’eau l’écho de leurs rires comme je les avais entendues dans les escaliers ce soir-là. Ou alors était-ce que j’avais encore dormi jusqu’à maintenant? Reprenant une goulée d’air à la surface j’ai eu en effet cette pensée inquiétante: et si en réalité je venais de me réveiller, ou pire, si je dormais encore?
L’amie de Marguerite hurlait, son fils n’était pas remonté à la surface. Depuis le hublot, les soldats nous tiraient dessus, mais le navire sans capitaine s’éloignait et dans la brume et les bourrasques de neige ils nous ont vite perdu. Ils se sont évanouis dans le brouillard, poursuivis par les coups de feu des militaires tuant les Dormeurs.
L’eau était plus chaude que l’air.
« L’eau… Elle est douce. »
« Quoi? Comment ça? »
« C’est de l’eau douce, nous sommes dans un lac, » a répété Marguerite en s’essoufflant à côté des hurlements.
J’ai lapé une gorgée, elle avait raison. J’ai plongé à la recherche du gamin mais l’eau était si noire, la lumière ténue du ciel descendait à peine sous la surface et dans le silence je craignais d’entendre à nouveau les rires de mes harpies.
Nageant à peine, la mère pagayait vers son fils dont le corps avait rejailli à une dizaine de mètres. Je l’ai aidée et nous l’avons retourné. Le froid nous gagnait et nous n’avions plus le temps de vérifier s’il respirait. On distinguait la ligne obscure de la rive à environ 200 mètres.
« Essaie d’aider la mère. Elle sait à peine nager. Je m’occupe du gamin. Il faut bouger. On va geler. On n’a pas le temps. »
Marguerite a acquiescé et tant bien que mal j’ai halé le garçon, au moins l’effort me réchauffait. Nous avons nagé, la mère sanglotait, nos petits souffles résidus de vie dans la mornitude acharnée. Au bout d’un temps infini où l’impression de flotter dans un rêve de la Violette m’envahissait à mesure que mes membres s’engourdissaient, j’ai enfin senti les rochers sous mes pieds. Marguerite tirait aussi la mère qui tentait de flotter sur le dos et délirait des mots espagnols.
On a encore pataugé jusqu’à la grève de galets, les tourbillons de flocons se faisaient plus denses, et le parc devant nous blanchissait, cerné par des bosquets de pins qui tremblaient sous les bourrasques. Plus loin la ville montait dans une pente assez raide, mais à une centaine de mètres j’ai remarqué un grand bâtiment public à l’autre bout du parc. Je sentais dans mes os que nos minutes étaient comptées, des laps de délires entrecoupaient la réalité me donnant envie de simplement me coucher là, me lover contre le sol et dormir.
On a encore réussi à se traîner jusqu’au bâtiment. Des lettres argentées affichaient sur une façade: Théâtre de Vidy. Nous sommes entrés dans une cantine pour les spectateurs et j’ai déposé le garçon sur une table. Au bar dans un bol j’ai ramassé dix paquets d’allumettes, arraché des rideaux que j’ai enflammé avec un reste de vodka, non sans en prendre aussi quelques rasades partagées avec Marguerite, et jeté dans les flammes naissantes une chaise en bois. A ce stade il était préférable de brûler vif que mourir de froid. -
Q69
Le garçon était mort. Dans les flammes naissantes son visage bleu pâle ressemblait à un marbre rare sculpté dans dix petites années de vie. Sa mère l’avait recouvert d’un reste de rideau pour le tenir au chaud et priait. Marguerite se tenait devant les larges baies, observant la nuit tombante et les flocons, toujours accrochée à la vodka qu’elle tétait par brusques à-coups. Nous étions en sous-vêtements pour laisser nos habits dégeler. Dehors, enfoncés dans leurs parkas et capuches qui cachaient leurs visages dans la pénombre grandissante, un groupe de jeunes se tenait à distance et observait la quasi nudité de Marguerite qui les fixait en retour, défiante. Ils hésitaient peut-être à venir nous tuer. Les flammes se reflétaient sur nos corps et faisaient gicler les ombres dans toute la cantine. On percevait au loin des coups de feu ou des coups de canon.
« Si tu continues à les provoquer, ils vont venir, » ai-je grommelé.
Marguerite a reniflé plus fort et repris une rasade en guise de réponse. J’ai essayé de prendre la mère dans mes bras mais nous étions à moitié nus et mon geste lui a paru bizarre.
« Comment tu t’appelles? »
« Elle s’appelle Elena. »
« Et elle parle français? »
« Oui je parle français. »
« Il est… mort, » ai-je bêtement annoncé en pointant son fils.
Elle s’est tournée vers moi, son regard transperçant, son visage si régulier, presque asiatique mais avec des yeux sombres de furie du Sud, et j’ai remarqué alors son corps sculpté par les éclats du feu, ses articulations si fines, malgré des seins et des hanches voluptueux, j’ai eu le temps de m’en rendre compte, avant qu’elle ne me gifle violemment.
« Si tu continues à la provoquer, elle va te planter un tesson de bouteille dans le ventre, » s’est moqué Marguerite, en me tendant la bouteille que j’ai repoussé. « Ils arrivent. »
J’ai sursauté et en effet trois d’entre eux s’approchaient de la porte vitrée. J’ai enfilé ma veste d’officier pour les impressionner mais Elena et Marguerite ont eu l’air affligées.
« Franchement, sans pantalon on dirait un type qui a tué un officier avant de lui voler son veston. »
C’est presque ce qui s’était passé.
« …Et non, ce garçon n’était pas le fils d’Elena. Elle l’a trouvé dans un container près de son mari et… d’une autre femme endormie. »
Elena s’est redressée pour me dévisager, presque nue, et moi en slip dans mon veston raide et encore gelé, et Marguerite avec sa bouteille de vodka à moitié vide, et l’enfant mort sur la table, les reflets des flammes qui nous enveloppaient les trois, la fumée qui s’accrochait au plafond avant de glisser et disparaître dans l’une des salles de spectacle, quel étrange trio de la fin des temps.
Ils ont balancé une pierre dans la porte vitrée et sont entrés avec les bourrasques de flocons. Tâtant la poche de mon veston j’ai découvert l’arme que j’y avais glissé avant de me jeter par le hublot. Le chargeur était vide mais pas l’effet dissuasif.