Un week-end à la montagne

L’effort m’a happé dans une succession de vallons aux mélèzes encore décharnés. Le printemps ici en altitude n’avance pas. La neige roussie par les sables du Sahara a toutes les peines à reculer. Elle résiste au soleil et au ciel bleu noir et violet, toujours épaisse dans les ombres aussi obscures que des précipices. Il fait chaud, des pans de montagnes entiers sont arrachés par la neige qui s’effrite, se cisaille, se décroche, des tranches immenses de tarte blanche s’effondrent, emportant des bouts de montagnes pour l’éternité.

L’effort au long des axes des skis se prolonge sans fin vers le haut, d’une butte à la combe, du vallon au mamelon, le soleil écartèle mes yeux mal protégés par une casquette, des lunettes impuissantes devant tant de lumière jaillissant du sol. L’air est moite, quand les courants d’air cessent, comme souvent, la montagne a l’odeur de ma transpiration.

La libération survient lorsque les arbres cessent de survivre pour laisser place aux espaces morts. Alors la lumière apparaît, toujours plus fondamentale. Elle ne laisse que de rares coulées d’ombres dans l’éblouissement de la neige, des bouts de montagne qui s’effritent. Les arbres ont disparu, dégoûtés par tant d’éternité. Les pics débarrassés de la blancheur se dressent tels des pierres tombales dont s’écoulent dans un effondrement effrayant des pans de cimes que j’imaginais éternelles. Seuls les choucas indiquent dans leurs volutes facétieuses qu’elles trouvent encore de quoi manger ici: je soupçonne qu’elles volent là juste pour profiter de l’extase inhumaine que leur procurent les vents montant vers le ciel noir comme elles.

On se plait à aimer la vue. Le détachement immense procuré par le silence, les éboulements printaniers des pierres, les gouttes de neige fondant dans le silence des cimes que même le vent a abandonné sous le ciel du printemps, laissant errer ce dialogue entre les étoiles invisibles et la roche qui se dresse au plus haut, message intemporel envoyé vers les étoiles indifférentes à cette verve dont je ne suis que le témoin juvénile.

L’éblouissement est total désormais ici: je me fonds dans la neige et le printemps des montagnes m’avale tel un fondu au blanc dans un vieux film.

Il existe un mot que je devrais trouver, confronté à cette totalité morne faite du ciel, de la roche et de la neige, cette entièreté de mon existence absorbée par ces éléments audibles, compréhensibles, atteignables, ces bouts de ma vie qui sont là et m’entourent quand je les ressens, il existe un mot peut-être pour exprimer tous mes sens appelés quand je suis arrivé au sommet.

L’effort de me hisser là me laisse joyeux. Mes skis enfoncés dans la violente blancheur en sont les témoins inertes. Mais je n’ai pas ce mot, et je redescends parmi les humains, glissant comme fuyant ce qui m’a été révélé, glissant saisi du médiocre réconfort de me retrouver parmi eux, glissant au sein de l’obscurité de mes êtres chers, sans avoir tout compris. Sans avoir ce mot.

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